20
Clap Your Hands Say Yeah
La France, pays ayant toujours 6 mois d'avance sur son année de retard, s'apprête à découvrir l'album de Clap Your Hands Say Yeah, qui arrive, fort peu logiquement, après la sortie du Wolf Parade et donc dans un désordre chronologique qui pourrait lui faire un certain tort. Car si la musique du groupe enchaîne les influences jusqu'à parfois devenir un jeu pour "nerd", elle possède une véritable personnalité qui appelle à revenir auprès du disque, de temps en temps, doucement mais sûrement. |
19
LCD Soundsystem
La machine à danser de 2005, scindée en deux disques, d'un côté le premier véritable album du groupe (inégal) et de l'autre les singles qui ont donné naissance au mythe (historiques). C'est évidemment irrésistible même si un peu casse-tête sur la durée, et des morceaux aussi évidents que Tribulations ou Disco Infiltrator auront fini par lasser à force d'être utilisés à toutes les sauces. Il n'empêche que l'oeuvre contient le monumental Yeah (Crass Version), sans doute la sucrerie la plus joyeusement jouissive de ces derniers mois. |
18
Deerhoof
The Runners Four
Un disque gag, ça fait toujours plaisir, du moins quand le gag est drôle et bien mis en scène (ici, en musique). Impossible de prendre au sérieux une seule seconde The Runners Four, Deerhoof affichant clairement sa volonté de ne respecter aucune des règles de l'écriture musicale habituelle. Donc, nous sommes dans la déjante, pure, simple et systématique. Prises à part les unes des autres, les chansons ont toutes leur charme, tantôt craquant, tantôt un peu effrayant. On a parfois l'impression de voir s'avancer des poupées tordues auxquelles on aurait arraché certains membres pour coller des bouts d'on ne sait trop quoi. La voix rigolote et souvent énervante de la chanteuse japonaise de Deerhoof rend parfois le disque totalement "kawaï", du "kawaï" forcément mignon mais aussi logiquement déviant. The Runners Four est intrigant et souvent assez jouissif et c'est l'un des albums les plus originaux de 2005, cependant, contrairement au Blueberry Boat des Fiery Furnaces par exemple, on n'a jamais le temps de s'accrocher et de s'attacher à cette musique, le refus systématique de céder aux formes classiques ainsi que l'abondance des morceaux rendent l'oeuvre amusante mais jamais passionnante et encore moins touchante. |
17
The Hold Steady
Separation Sunday
L'album génial que Frank Black aurait pu nous offrir s'il n'était pas en pré-retraite. De grosses guitares, des histoires à l'américaine avec gros clins d'oeil à Bruce Springsteen et une voix qui ne chante pas vraiment mais qui récite, avec une gouaille un peu crade et terriblement rock'n'roll. Separation Sunday c'est du rock à l'ancienne, avec le son costaud et les petits détails qui font tout le prix du genre (un break au piano sur Stevie Nix, un solo de guitare final bien gras sur Cattle and the Creeping Things, de l'orgue électrique un peu partout...). Et surtout une énergie épique, un faste sonore transcendés par un chanteur immédiatement mémorable, Separation Sunday est un délice. |
16
Xiu Xiu
La Forêt
L'aventure musicale de Xiu Xiu en 2005 aura sans nul doute réjouit les fans du groupe de Jaimie Stewart. En effet, bien loin de capitaliser sur le petit succès de Fabulous Muscle, Xiu Xiu n'a pas hésité à poursuivre une inspiration toujours aussi radicale, voire de plus en plus underground (avec la sortie d'un recueil de performances, l'étouffant Live and Life). La Forêt est donc tout sauf un disque facile et même s'il est souvent moins impénétrable que certaines des premières oeuvres du groupe, il n'offre aucune ouverture vers un plus large public. La musique de Xiu Xiu est toujours aussi belle et douloureuse, entre murmures de souffrances et cris de détresse, poésie ténébreuse et surréalisme sordide. Jaimie Stewart est peut-être le plus sincère et le plus attachant des écorchés vifs de notre époque. |
15
Shining
In The Kingdom of Kitsch you will be a Monster
Si l'ouverture de l'album de Shining, le littéralement monstrueux Goretex Weather Report a souvent tendance à éclipser le reste du disque, il ne faut pas oublier que la musique du groupe va bien au-delà de ce coup d'éclat. Le free-jazz/hardcore/fourre-tout à la manière de John Zorn trouve ici son enveloppe peut-être la plus accessible pour les oreilles peu habituées à tant d'étrangetés. La musique de Shining fait parfois peur, c'est logique, ces gens n'ont pas choisi leur nom au hasard et ils n'iraient pas non plus intituler un morceau Redrum sans raison... Mais l'on est surtout transporté par une ambiance intrigante, complexe et si inhabituelle. |
14
Antony & The Johnsons
I am a Bird Now
Cet album, loué un peu partout comme l'un des sommets musicaux de 2005, est quasi religieux, ou du moins extrêmement spirituel. On peut l'écouter avec le même respect qu'une messe, la même extase qu'un requiem, la même émotion qu'un Ave Maria. Même si l'on se refuse au sentiment religieux, on comprendra aisément ce sentiment de "Sacré" qui habite I am a Bird Now et en particulier le chant de Antony. Cet homme a une voix fantastique, mais fantastique au sens d'irréelle, de surnaturelle même. Beaucoup ont pu croire à la première écoute qu'ils avaient à faire à un chanteur (voire une chanteuse) noir(e), ce qui n'est absolument pas le cas, bien au contraire. Antony est cet androgyne blanc, aux rondeurs presque enfantines, et à la carrure disproportionnée par rapport à la fragilité de sa voix. Il porte à lui seul tout l'album, la musique des Johnsons étant un bel écrin de jazz embrumé, de piano bar un peu bringuebalant, mais elle n'est véritablement qu'un accompagnement, elle ne vient interférer avec la performance du chanteur qu'à de très rares occasions (à part sur la chanson d'ouverture, et sommet du disque, le bouleversant Hope There's Someone). L'impressionnant succès de l'album va donc bien au-delà la curiosité des auditeurs pour un "freak", c'est le charme et la simplicité de cette musique qui a avant tout conquis. Mais la voix d'Antony est peut-être capable de transcender tout ce qu'elle touche... |
13
Broadcast
Tender Buttons
Finalement ce n'est pas compliqué de faire une musique sublime avec une vieille GameBoy et un sampler de vingt ans d'âge. Il suffit d'avoir sous la main l'une des plus belles voix de la pop actuelle (celle de Trish Keenan) et de lui faire raconter un peu n'importe quoi. Ajoutez à cette potion une bonne dose de mélodies plaisantes et de bruitages rigolos et vous obtenez le disque le plus bricolé et le plus adorable de l'année. Broadcast incarne le charme même lorsque le minimalisme atteint un niveau rarement entendu (juste quelques bips bips suffisent à emballer une chanson). Parvenir à composer une musique aussi gracieuse avec si peu de sons, c'est sans doute miraculeux et l'oeuvre de Broadcast ne cesse de surprendre. |
12
Serena Maneesh
Le rock n'a jamais autant de souffle que lorsqu'il flirte avec la saturation, voire le bruit. Le mur du son qui habite l'album de Serena Maneesh est familier aux amateurs de My Bloody Valentine et de Jesus & Mary Chain, mais la fascination reste la même, car peu de groupes osent se frotter à un genre qui peut facilement tomber dans la grandiloquence ou l'inécoutable. Peu de groupes se plongent dans les méandres les plus hurlants du rock tout en parvenant à faire surnager des chansons plaisantes. Le tour de force de cet album n'en est que plus admirable, car Serena Maneesh parvient à convaincre sur presque toute la durée de son périple. A part un Candlelighted quelque peu longuet, le disque réserve une petite bombe punk-pop telle que Un-Deux ou une déflagration hardcore du niveau du terrible Beehiver II, et surtout des morceaux où le groupe, en se donnant tout l'espace nécessaire, se met à tutoyer les astres. Ainsi Sapphire Eyes High ou Don't Come Down Here font partie des instants rock les plus mémorables de 2005. |
11
M.I.A.
Arular
Célébré comme le premier disque vraiment "mondial" (voire "alter-mondialiste"), Arular survit fort bien à sa réputation de synthèse universelle. Si la musique de la demoiselle est immédiatement surprenante, on devine vite ses origines : les rues de Londres et les méandres toujours novateurs d'Outre-Manche. Un peu de hip-hop façon The Streets, un peu de rap façon Dizzee Rascal, un peu d'électronique déjanté façon Aphex Twin et une bonne dose de ce ragga qui ne ressemble plus à rien et qui fait vibrer les sous-sols de la capitale britannique. Les deux premiers morceaux de Arular sont de magistrales claques, la vindicte de Pull Up The People et la fantaisie bétonnée de Buck Done Gun sont de véritables petites révolutions dans le monde de la musique populaire. Au fil de l'album on a l'impression d'assister à la naissance d'un genre nouveau, à la fois dansant et revendicatif, résultat de la fusion de mille courants, tout en faisant écho à des sonorités primitives voire tribales. C'est avec Arular que l'esprit de The Clash aura été le plus vivant en 2005. |
10
Juliette
Mutatis Mutandis
A l'écoute des premières chansons de l'album de Juliette, on se dit que l'on est en présence d'un chef-d'oeuvre. En effet, après l'ouverture lascive et inquiétante du Sort de Circé, Mutatis Mutandis ne cesse d'enchaîner les surprises, que ce soit la bossanova tragique des Garçons de Mon Quartier, l'humour noir et rythmé de Maudite Clochette, le foisonnement burlesque du Congrès des Chérubins jusqu'au sommet d'intensité de Il S'est Passé Quelque Chose, pas le moindre faux-pas ne vient sortir l'auditeur de la magie de la musique. Mais c'est à partir du duo avec Guillaume Depardieu sur Une Lettre Oubliée que l'album perd un peu de son vaste pour devenir plus prévisible, même si son charme ne se dément pas. Le fougueux Le Brasier, le jouissif mais anodin Mémère Dans les Orties et le latin rieur de Franciscae Meae Laudes sont de beaux ouvrages musicaux, mais ils demeurent dans l'ombre des deux dernières fresques du disque, l'envoûtant l'Ivresse d'Abbu-Nawas et l'imposante narration de Fantaisie Héroïque, dont la chute ravie par son humour. Mutatis Mutandis est peut-être un album aux deux tiers réussi, la personnalité de Juliette, sa voix, ses textes, ses arrangements souvent grandioses, donnent une aura inoubliable à ses compositions. |
9
The Clientele
Strange Geometry
Certains artistes écrivent des chansons pop comme certains artisans cisèlent leurs oeuvres. Les petits gars de The Clientele se compareront aisément à des orfèvres, ne laissant jamais rien au hasard, affinant jusqu'à la perfection des chansons si maîtrisées qu'elles parviennent néanmoins à conserver leur évidence, leur aspect un peu bricolé. On pourrait sortir l'artillerie lourde des références, les Smiths ici, les Sundays là, Belle & Sebastian bien sûr, les trop méconnus Go-Betweens de même. Mais cela ne nous servirait pas à grand chose, à part à délimiter le style, à donner une idée de la délicatesse mais aussi de l'étrangeté de certaines ambiances. Lorsque l'on se plonge dans les textes, la musique prend une toute autre dimension, parce The Clientele est un grand groupe mélancolique, de cette tristesse presque plaisante des après-midi pluvieux, du soleil d'hiver, du coeur de la nuit dans la ville scintillante. L'amertume selon The Clientele possède une douceur rassurante et une poésie modeste, elle se déverse comme une liqueur au fil de mélodies instantanément attachantes. Strange Geometry n'est pas un disque naïf et encore moins niais, c'est une oeuvre simplement belle, même si l'affirmation pourra sembler paradoxale, car rien n'est plus complexe que d'offrir une musique aussi naturelle et aussi séduisante. |
8
The Books
Lost and Safe
Moins expérimental et plus accessible que leur mémorable The Lemon of Pink, Lost and Safe a permis a un plus grand public de s'initier aux collages fascinants, délirants et souvent touchants du duo The Books. Ce que j'écrivais l'année dernière à propos de The Lemon of Pink est donc tout aussi valable pour Lost & Safe, il suffit de préciser que les morceaux adoptent des apparences plus évidentes de chansons et que justement le chant est plus présent pour dresser un portrait assez clair d'une musique par ailleurs indescriptible. Des crics et des cracs, des boums et des blangs, des bouts de ceci et des bouts de cela, The Books fait du "recyclart". Des samples de films, de publicités, de documentaires, de cris d'animaux, des sons déformés, des rythmes déconstruits, des paroles qui vibrent au loin, et des mélodies extra-terrestres, on peut être effrayé par un tel résumé et pourtant il ne faut surtout pas passer loin de la musique expérimentale la plus adorable de 2005. |
7
The Dresden Dolls
Prenons exemple sur nos camarades des Inrockuptibles et n'hésitons pas à réparer les oublis du passé en classant un disque sorti en 2003 mais pleinement découvert cette année. The Dresden Dolls est un groupe extrêmement théâtral, dont le concept est de faire revivre l'esthétique des cabarets allemands des années 20 et 30, avec une dose de décorum gothique et une bonne rasade de punk déjanté. Le résultat se veut un genre tout nouveau tout pas beau : le cabaret punk. Le duo tourne essentiellement autour de la vindicative Amanda au chant et au piano et du dégingandé Brian à la batterie. Les autres instruments traditionnels du rock devenant accessoires, voire superflus. Le résultat est particulièrement évocateur, et l'écoute de leur premier album donne l'impression d'assister à un show à mi-chemin entre Freaks et Loulou.
L'ouverture de Good Day, avec sa boîte à musique et son piano triste est totalement représentative des Dresden Dolls, le chant d'Amanda, d'un calme enfantin explosant soudainement en une rage acide est bien sûr l'ingrédient essentiel. Totalement investie dans son rôle de malade psychiatrique traînant ses guenilles au début du 20e siècle, voire dans les rues sordides du Whitechapel de Jack l'Eventreur, la chanteuse surjoue chacune de ses interventions avec autant d'humour que de conviction. Une fois le décor posé, les Dresden Dolls peuvent presque tout se permettre, comme d'emballer un missile hardcore avec un piano à la place des guitares saturées (le jouissif Girl Anachronism). Mais là où le groupe devient franchement génial c'est quand il assume totalement sa volonté de faire revivre les chansons "réalistes" des années 1900, en particulier sur Missed Me et sur le chef-d'oeuvre de l'album : Coin-Operated Boy. Sur un air de boîte à musique, et un piano sautillant, Amanda élabore un personnage de femme-enfant déçue par les hommes qui préfère construire son propre amoureux parfait sous forme d'automate. D'abord amusante, l'histoire devient peu à peu touchante, un peu voisine de celle de May au cinéma, ici la performance vocale ne cesse d'impressionner, la palette d'émotions de la chanteuse semblant infinie.
Sur la longueur du disque, les Dolls tournent parfois un petit peu en rond, même si toutes les chansons demeurent impressionnantes grâce à l'originalité du son et à la performance toujours passionnée d'Amanda. Il faut l'entendre porter à bout de voix une chanson telle que Half Jack, qui en d'autres cordes auraient pu devenir une vilaine ballade hard-rock comme MTV en diffuse des dizaines chaque jour. Sur la fin, les morceaux se font un peu plus pesants, The Perfect Fit, Slide et l'écrasant Truce se ressemblant un peu trop. Heureusement, sans doute conscients de limiter leur son, les Dresden Dolls osent une perle pop presque incongrue avec le très amusant The Jeep Song, qui prouve que par-delà son imagerie grandiloquente, le groupe possède un plus vaste potentiel. C'est sans doute là que réside les plus essentielles différences entre The Dresden Dolls et la majorité des groupes vaguement punks, pseudo gothiques : ils ont de l'humour et un véritable talent musical. Si Amanda et Brian ne se laissent pas enfermer dans leur imagerie et ne cèdent pas aux facilités qui les guettent, l'avenir des Dresden Dolls risque d'être enthousiasmant. |
6
The Fiery Furnaces
EP - Rehearsing My Choir
Les Fiery Furnaces auront été doublement présents en 2005 : d'abord en offrant leur disque le plus abordable (la compilation de singles : EP), puis leur oeuvre la plus expérimentale et exigeante (le très conceptuel Rehearsing My Choir). Accueilli plus que froidement par la critique et les auditeurs, Rehearsing My Choir est pourtant l'expérience musicale la plus étonnante de l'année : une suite de récits, essentiellement les souvenirs de la grand-mère de Matthew et Eleanor, mis en musique de façon à coller au plus près des ambiances et événements décrits. Le résultat décontenance, tant l'on est très souvent plus proche de la musique concrète que de la pop, et l'on aura beaucoup reproché aux Fiery Furnaces d'avoir échoué là où ils avaient si bien réussis avec Blueberry Boat, c'est à dire parvenir à rendre accessible leurs expérimentations et leur imagination débordante. Ici, les bidouillages de Matthew oublient les mélodies en chemin, et la voix magnifique d'Eleanor est mise au second plan. Certes, la narration de la grand-maman Olga est souvent passionnante, drôle et surtout très émouvante, mais l'emballage sonore nous éloigne du texte par son foisonnement délirant. Rehearsing My Choir ne se révèle alors qu'après de multiples écoutes attentives, qui permettent peu à peu d'entrer dans cet univers et de découvrir enfin un véritable trésor, follement novateur, évocateur et nostalgique. Malheureusement, peu d'auditeurs auront le courage de se pencher à ce point sur une oeuvre à mi-chemin entre tous les genres musicaux, qui ne ressemble à rien d'autre et qu'il sera très facile de remiser au fond d'un tiroir. Si les Fiery Furnaces ont pêché, c'est bien par excès de confiance en leur capacité à transmettre leur vision musicale unique. Mais nul doute que leur prochain album, annoncé comme "très accessible" viendra leur redonner la place qu'il mérite au sein du rock actuel (c'est à dire la première).
Par ailleurs, le recueil EP propose quant à lui le portrait le plus immédiatement séduisant du groupe. Avec des chansons totalement pop et irrésistibles telles que Here Comes The Summer, Tropical Ice-Land ou Sweet Spots, les Fiery Furnaces prouvent s'il en était encore besoin, qu'ils savent vraiment tout faire. Et pour les néophytes ou les réfractaires, c'est encore sans doute par ce disque là qu'il faut débuter. On pourra y découvrir aussi bien des ballades bancales à la manière du délicieux Evergreen, des pièces plus complexes mais encore très charmantes comme Smelling Cigarette, des petits délires façon Duffer St. George, et même une mini fresque plus révélatrice de certaines ambitions du duo, la conclusion passionnante et ludique de Sullivan's Social Club. Non, cette année les Fiery Furnaces ne seront pas premier de mon top, mais peu importe, je les aime toujours davantage. |
5
Fiona Apple
Extraordinary Machine
Album après album (et celui-ci n'est que son troisième), Fiona Apple raffine et améliore une formule toujours gagnante. Extraordinary Machine a beau avoir été accouché dans la douleur (la production a été entièrement refaite au moins une fois), le résultat tient du petit miracle. De la personnalité, oh, cette musique n'en manque pas, elle en déborde, bien au contraire. C'est toujours, donc, un peu le même procédé qui gouverne les interprétations sonores des tourments intérieurs de la chanteuse, mais on est touché, séduit, sans même s'en rendre compte.
4
The New Pornographers
Twin Cinema
Le pop-rock est une affaire d'enthousiasme, c'est à peu près la leçon que nous aura rappelé l'incroyable Twin Cinema, l'album le plus vivifiant de l'année. Les New Pornographers ne connaissent que l'exaltation et le lyrisme en moins de 4 minutes, leur énergie est communicative et tient dans des formules d'une simplicité évidente : l'intro qui décoiffe, le couplet qui s'élance et le refrain dans les étoiles, qu'on emballe avec une rythmique qui galope, des guitares qui gigotent et des voix qui s'amusent. Et lorsque l'on dérive un peu de cette ligne hautement accrocheuse, c'est pour mieux s'approcher de l'essence de la chanson "parfaite" comme sur l'incommensurable (et je pèse bien sûr mes mots) The Bleeding Heart Show. Twin Cinema est un chef-d'oeuvre, follement heureux d'être vivant et de le clamer sur tous les tons et thèmes possibles. Si 2004 avait été marquée par le chant funèbre de Arcade Fire, 2005 fut définitivement l'année de la résurrection, et The New Pornographers en auront été les plus éminents prophètes. |
3
Sufjan Stevens
Illinois
Le héros de l'année n'a pas vraiment la carrure d'une star. Sufjan Stevens est un bonhomme adorable dont l'unique super pouvoir serait de créer des chansons inoubliables comme d'autres débitent des rengaines publicitaires. Mais quel super pouvoir ! L'artiste peut donner l'impression qu'une chanson de sept minutes n'en dure que trois et qu'un album copieux de plus d'une heure n'est à peine qu'un single. Stevens peut coller des tonnes d'interludes, évoquer un serial killer ou des images religieuses, sans que jamais son oeuvre ne paraisse pesante ou déprimante. L'artiste est toujours léger, même lorsqu'il aborde les thèmes les plus douloureux. Et c'est cette grâce qui transforme la majorité des chansons en sommets bouleversants, avec bien sûr comme exemple le plus frappant, le sublime Chicago. Lorsque les ambiances se font plus oppressantes comme sur l'entêtant Night Zombies, ou plus déchirantes comme sur The Seer Tower, Sufjan Stevens joue la fragilité, la corde sensible qui vibre jusqu'à la rupture. Avant de mieux enchaîner sur un hymne quasi festif, bâti dans un folk-rock ciselé où chaque instrument inattendu trouve pourtant sa juste place et où chaque nouvelle mélodie, chaque choeur féminin grandiloquent, chaque rupture de ton ne font que réjouir davantage l'auditeur. Mais que reste-t-il à ajouter aux concerts de louanges ? Sufjan est numéro un à peu près partout, c'est le disque de l'année, le monument à côté duquel tous les autres paraissent inachevés. |
2
Kate Bush
Aerial
Comment ne pas décevoir lorsque l'on effectue un retour terriblement attendu ? Plusieurs solutions s'offrent à vous, par exemple vous pouvez verser dans les trompettes et les annonces, la démesure et le bruit, clamer haut et fort que le voilà, il revient Albator, ou Ulysse, peu importe, car c'est un fait avéré, vous allez vous ramasser, comme Michael Jackson, comme les Sex Pistols, comme les Beatles "reformés", vous allez décevoir, voire vous prendre une bonne volée de bois vert, qui certes, justement, ne sera pas forcément volée. Kate Bush, qui nous avait abandonnés en 1994, pour accomplir une vie de famille des plus exemplaires, après un The Red Shoes de très sinistre mémoire, se retrouvait une décennie plus tard dans une situation pour le moins délicate. Ayant connu le succès très jeune et ayant offert quelques uns des disques les plus étranges, envoûtants et admirables des années 80 (en particulier The Dreaming et Hounds of Love), elle n'avait pas été oublié par ses nombreux fans et sa résurrection, sous la forme d'un double album, ne pouvait pas passer totalement inaperçu. Alors, comment ne pas trahir quand tout le monde s'attend à ce que vous ne possédiez plus qu'une valeur nostalgique ?
Et bien en ne faisant aucune concession et en ne cédant pas à la tentation de "faire plaisir aux fans", en livrant un album exigeant, totalement en marge de la production actuelle. Kate Bush ne commet aucune erreur, aucune faute de goût, prouve que le temps n'a pas émoussé sa sensibilité ni son talent, et que, tout au contraire, sa vision infiniment poétique et très personnelle du monde s'est affirmée et affinée. Et la superbe pochette de Aerial, au sein de laquelle miss Bush n'apparaît que de manière fantomatique, est un monument de sobriété et d'ambiance audacieuse mais immédiatement évocatrice (les disques sont ornés de photographies de linge séchant au vent).
Le premier de ces disques (A Sea of Honey) est un recueil de chansons, plutôt classiques selon les critères de la dame, qui ne renie jamais les sonorités qui ont fait le succès de ses précédentes oeuvres, mais en optant pour la discrétion, la retenue et la maîtrise, indispensables à la crédibilité d'un univers musical extrêmement riche, foisonnant de détails et d'arrière-plans quasi cinématographiques. Si cette première partie de l'oeuvre est aussi celle qui pourra le plus désenchanter certains auditeurs (à mes oreilles, seul le morceau Joanni est vraiment raté), elle réserve des instants de grâce immédiatement dignes des merveilles d'antan (la tension de King of The Mountain (dédiée à Elvis), le mystère de Pi (dédiée aux mathématiques), la tendresse de Bertie (dédiée à son fils), la rêverie sensuelle de Mrs. Bartolozzi (dédiée aux machines à laver et surtout à toutes les femmes ayant parfois du vague à l'âme (à toutes les femmes donc)), la perfection inquiétante de How To Be Invisible (dédiée aux fans de Kate), l'ampleur mélancolique de A Coral Room (qui annonce la seconde partie de Aerial)...)
Le deuxième disque compose la description d'une journée, de l'aube jusqu'à la nuit, en une construction savante d'ambiances minimalistes. Du délicat Prelude (où le mélange entre la pureté des sons et la voix du fils de Kate Bush est quasi bouleversant, sans que l'on comprenne bien pourquoi) jusqu'à l'épique Aerial (voisin des grandes heures de The Dreaming), cette ode à la beauté du monde et de l'existence (nommée A Sky of Honey) tient du pur chef-d'oeuvre qui donne fréquemment le frisson. Si ce "ciel de miel" est une idéale musique d'ambiance, son écoute demande une véritable attention et il faut du temps avant d'en apprécier pleinement l'élégance exquise et la complexité de la composition. On pense parfois à de la peinture plutôt qu'à de la musique pop, tant Kate Bush raisonne selon les teintes, les textures, les dégradés, les nuances. Et c'est ainsi, dans cette subtilité qui n'appartient qu'à elle, que la dame peut se permettre des audaces qui chez d'autres seraient immédiatement ridicules, en particulier les nombreuses interventions de chants d'oiseaux au sein de la musique.
Aerial se découvre, peu à peu, en tant qu'humble ode aux détails du quotidien, aux plaisirs simples, à l'émerveillement face aux nuages ou aux arbres, à la joie intense d'être heureux auprès de ceux que nous aimons, d'être ravi de passer nos soirées à leurs côtés, de partager ce monde avec eux. Disque de mère, de femme et de poète qui se rêverait invisible pour mieux tout connaître de cet univers qui n'a jamais cessé de l'émerveiller, Aerial s'évade des cadres critiques habituels pour toucher à ce qu'il y a de plus secret en nous et de plus universel dans cette intimité, le petit lien du coeur qui nous rapproche, cette fragile conscience du bonheur, cette impression fugitive de ne parfois faire qu'un avec tout ce qui nous entoure. |
1
Sleater-Kinney
The Woods
Et le voilà, le numéro un de l'exceptionnelle année musicale 2005, le premier des grands coups de coeur de votre serviteur et au final de loin le disque que j'aurai le plus écouté ces derniers mois. Pourquoi le plébiscite d'un album de facture finalement fort classique ? Parce que dans son aspect franc du collier, direct, décomplexé, The Woods est la quintessence du rock tel que je l'adore : une batterie qui cogne comme les Titans aux portes du Tartare (par exemple sur l'ouverture, The Fox), une guitare en cavale, au bord de la folie (sur What's Mine Is Yours) ou carrément déversant les torrents de l'Apocalypse sur Let's Call It Love, et bien sûr la voix de Corin Tucker, qui porte les échos de presque toutes les grands Dames du genre (de Patti Smith à PJ Harvey en passant par Siouxsie Sioux). Le tout, emballé dans la production superlative de Dave Fridmann, n'a d'autres prétentions que de secouer nos sens. Mais de la musique sensorielle, il y a en a eu beaucoup en 2005, c'est pour cela que Sleater-Kinney va un tout petit peu plus loin que tous les autres, en ajoutant une savante dose de paroles inoubliables, que ce soit la suicidaire de Jumpers, la maniaco-dépressive de Modern Girls ou le crescendo passionné et tétanisant de Let's Call It Love.
Le rock'n'roll, en résumé, en intraveineuse, dans toute sa tension érotique voire la plus indécente. Car c'est bien d'orgasmes qu'il s'agit quand surgit le solo de guitare de Jumpers ou le "refrain" de Let's Call It Love, un orgasme résolument féminin pour ce dernier, douce progression vers l'extase qui se poursuit et se décante sur sept minutes d'électricité délicieuse. La sensualité de The Woods est plus violente que celle du Aerial de Kate Bush, pourtant les deux oeuvres semblent complémentaires, parvenant à offrir une bande son adéquate pour chaque humeur, que l'on ait envie de douceur ou de griffes saillantes. Amour et sexe se ressentent aussi bien chez Kate Bush que chez Sleater-Kinney, avec moins d'évidence bien sûr, que dans des musiques qui abordent plus directement les plaisirs physiques, et pourtant la spiritualité de l'une et la rage des autres se répondent et s'enrichissent mutuellement. Et avec ces deux disques, c'est une vision des sentiments (ou plutôt une audition) d'une véracité rare qui incarne au mieux l'exceptionnelle intensité de l'année musicale 2005. |
SINGLES
-10-
The Futureheads - Hounds of Love
Le crime de lèse-majesté était plus que parfait. L'année du grand retour de Kate Bush, les joyeux drilles des Futureheads transformaient les inoubliables Hounds of Love en hymne punk garage, quelque part entre les Zombies et les Buzzcocks. Les harmonies vocales de cette version n'ont pas à pâlir de la comparaison avec celles de l'original et l'intensité ne s'est pas perdue en chemin.
-9-
Robyn - Be Mine
Elle galope, elle galope, la petite Robyn. Sa voix de bimbo de MTV aura trouvé avec ce single époustouflant l'écrin idéal, les gimmicks surgissant de tous les coins, à toute vitesse, et on adore, sans se demander si tout cela est avant tout efficace ou inévitablement kitsch, oh, peu importe ! Le pied est raisonnablement total.
-8-
Fiona Apple - Extraordinary Machine
La chanson Extraordinary Machine est l'une des plus charmantes de 2005. Comme du Tom Waits entonné par une jolie voix, avec des arrangements primesautiers et une petite cloche là (je ne parle pas de Fiona !). J'y entends parfois les échos du Paris 1919 de John Cale, c'est vous dire si c'est charmant et bizarre.
-7-
Arcade Fire - Rebellion (lies)
Un an après avoir connu la gloire en ces lieux et juste accessoirement la première place du top album 2004, Arcade Fire est enfin célébré en France, avec énorme succès commercial à la clef. Si ça fait un petit peu mal au coeur de voir le brave combo canadien se transformer aussi rapidement en nouveaux U2, cela fait aussi bien plaisir. Funeral étant à la base, ne l'oublions pas, un terrible disque de deuil et de tristesse, son succès est donc un bel hommage à la volonté de vivre. Rebellion étant l'un des plus grands moments dudit album, difficile de l'oublier dans les singles de l'année, peu de chansons pouvant prétendre à un tel niveau de lyrisme communicatif. Les Arcade Fire sont nés pour envoûter les foules, espérons qu'ils continuent à le faire avec autant de tact et de talent.
-6-
LCD Soundsystem - Tribulations
Comment faire pour résister ? Comment faire pour y échapper ? Tribulations est le sortilège dansant de 2005 (Annie étant bien sûr hors concours), un terrible rouleau-compresseur électronique, conquérant et minimaliste, quelque part entre New Order et certaines envolées de Kraftwerk (quand je vous disais qu'ils étaient partout). Les groupes qui se veulent tant "néo-romantique", "new-wave" & co n'ont sans doute pas encore compris qu'à notre époque ce n'est plus le fait de mettre de la dance dans le rock qui passionne, mais bien d'assumer pleinement l'aspect disco et d'y glisser l'attitude un peu mauvais garçon et le solo de guitare "so 80's". Le résultat est tellement irrésistible que l'on ne cherche même plus à jouer les rabats-joie.
-5-
Kanye West - Diamonds From The Sierra Leone
Autre superstar de l'année 2005, le rappeur Kanye West est désormais une figure incontournable du show business actuel. Charismatique, audacieux, doté d'une vision musicale sans doute bien plus étendue que la plupart de ses collègues, le bonhomme a offert avec Late Registration un extraordinaire album qui m'impressionne même si le rap est loin d'être mon genre fétiche. Sur la durée, certes, je décroche et certains passages me laissent de marbre, cependant une poignée de chansons méritent tous les éloges. En particulier cet ultra cinématographique Diamonds From The Sierra Leone, construit autour d'un sample de Diamonds Are Forever et doté d'une puissance réellement saisissante.
-4-
Spoon - I Turn My Camera
Dans un élan finalement peu représentatif de leur pourtant très bon dernier album (Gimme Fiction), Spoon font revivre les grands heures du funk-rock en une imitation troublante du Mick Jagger des années 70 ou du Prince des 80's. Du rock dansant, voyez-vous, du genre qui donne envie de se déhancher de manière bien plus que suggestive, histoire d'inviter son/sa partenaire aux pensées les plus indécentes. Oui, c'est funky, c'est sexy, c'est disco, c'est fait pour danser vicieusement, c'est donc indispensable à vos oreilles.
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Sleater-Kinney - Jumpers
On ne présente pas la chanson rock parfaite sous forme de single sans espérer figurer dans le top 10 de M. Wood. Gagné les filles, vous voilà aussi très bien placées ici !
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Antony & The Johnsons - Hope There's Someone
Comme à peu près tous ceux qui ont découvert cette chanson, j'ai été tétanisé par la première écoute de Hope There's Someone. La voix de Antony est juste inhumaine, si aérienne, si fragile, une voix "noire" offerte à un petit blanc un peu rondouillet, légèrement androgyne, dont l'idole est tout autant Lou Reed que Boy George. La musique, si discrète au début avec son piano mélancolique, devient peu à peu franchement mystique, voire fantomatique, presque inquiétante, retranscrivant au mieux les angoisses du chanteur, sa vulnérabilité bouleversante, cette peur universelle de la solitude, qu'il n'y ait personne, maintenant, ou plus tard, quand nous serons dans le besoin, dans la douleur, et surtout, surtout, qu'il n'y ait personne au bout du tunnel, personne après la mort. Une telle adéquation entre musique, paroles et surtout voix est presque terrifiante, tant les résonances nous laissent démunis face à l'émotion qui nous submerge.
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Annie - Heartbeat
Sorti officiellement en single en début d'année 2005, le Heartbeat de la princesse Annie est évidemment et sans la moindre hésitation la chanson la plus extraordinaire que mes oreilles aient pu croiser. Oh, il y a eu de la concurrence, et de haute volée, c'est indéniable. Mais Heartbeat n'est pas seulement un morceau parfait, il incarne un idéal, il dépasse le cadre de la simple bluette dansante pour faire revivre avec des sonorités modernes les heures les plus exaltantes des 60's et de l'âge d'or des singles. Il y a tout ce que l'on peut souhaiter dans Heartbeat, aussi bien Phil Spector que Brian Wilson, tous les girl groups et toutes les dames du rock, toutes les starlettes pop et tous les ciseleurs de mélodies, tous les artistes qui ont un jour cru que l'on pouvait faire partie de la vie des auditeurs en trois minutes.
Car Heartbeat est de la lignée de ces chansons auprès desquelles viennent se greffer les souvenirs impérissables. C'est même le thème du morceau, qui, par-delà son évidence mélodique et son accroche rythmique qui tient les promesses du titre, est aussi une histoire. Ce fameux soir, réel, fantasmé, où l'on a dansé avec un/une inconnu(e), ce fameux soir où l'on a tout oublié en s'abandonnant à la musique, à la fête, à cette soirée qui se rêvait éternelle. Et cette excitation, et cette angoisse soudaine, cette énergie vitale, érotique, ce sentiment amoureux qui nous fait tourner la tête, et notre coeur qui accélère, qui accélère, accélère, pour mieux suivre cette musique, cette musique qui soudainement semble être la source de cette puissance qui nous enivre, l'origine de cet amour. C'est ce que conte Heartbeat, qui s'affirme non seulement comme la plus formidable chanson de 2005 mais aussi, déjà, comme un classique.
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