20
Emily Haines & the Soft Skeletons
Knives Don't Have Your Back
Échappée de la routine de Metric, la chanteuse Emily Haines laisse errer sa jolie voix dans ce recueil de chansons simples mais intrigantes, une fois le vernis sonore (un peu trop propre) émoussé par les écoutes. Il y a des ténèbres et des dédales cachés dans ses arrangements de piano et de rythmiques assez classiques. Ici une guitare lointaine se meurt, ailleurs la demoiselle évoque un « nouveau crime, le suicide sexuel », au sein d’une ballade taillée pour les radios. La voix faussement juvénile, un peu métallique, d’Emily Haines contribue à l’étrangeté progressive de ce disque. C’est très beau, un peu mélancolique, parfois lyrique, peut-être légèrement malin, presque émouvant par endroit, on peut y trouver une bande son idéale pour la tombée du soir. |
19
Grizzly Bear
Yellow House
Comme Animal Collective avant eux, les Grizzly Bear portent superbement leur patronyme tant leur musique semble parfois surgir d’une lointaine forêt ou d’un paysage de montagne (enneigé ou non). Rêveuses ou conquérantes, leurs chansons semblent en création permanente, à peine soutenues par une épine dorsale solide mais fluctuante. Un peu grinçant, un peu planant, quasi vaporeux ou omniprésent, le son de Grizzly Bear tient autant de la peluche amusante que de la sauvagerie. Plus accessible que les bordels sonores exigeants (et néanmoins passionnants) de TV on the Radio ou des Liars, Yellow House demeure une des expériences les plus ensorceleuses de 2006. |
18
Plaid
Greedy Baby
La musique électronique, telle qu’on l’entendait dans les années 90, est en crise. Vampirisée par le rock, la pop, le néo-disco qui l’a réinjectée sur les pistes de danse, l’electronica s’est éloignée des projecteurs, au même moment où ses « stars » peinaient à se renouveler. Il est donc facilement compréhensible que le dernier album de Plaid soit passé quasi totalement inaperçu malgré sa présentation ambitieuse. Directement accompagné d’un DVD contenant des vidéos pour tous les morceaux de l’album, Greedy Baby est certainement plus intéressant en tant que spectacle « sons et lumières » que comme simple projet musical. Pourtant dès son second morceau, le fastueux I Citizen the Loathesome, on retrouve toutes les qualités que l’on aimait tant chez Plaid : cette faculté à surprendre tout en possédant un son immédiatement identifiable, ce passage de la mélodie minuscule et bancale aux fastes les plus complexes. La suite de Greedy Baby navigue entre promesses tenues (le détournement des sonorités du jeu vidéo sur The Return of Super Barrio) et banalités un peu rétrogrades (Zn Zero, mille fois entendu). La clef de voûte de l’album, l’ample E.M.R. est une belle réussite d’ambiance et les deux derniers morceaux possèdent suffisamment de dynamisme pour équilibrer l’ensemble. Pas un grand disque que ce Greedy Baby, mais un nouveau succès au sein de la discographie impeccable de Plaid. |
17
Destroyer
Destroyer's Rubies
Lorsqu’un membre du fabuleux collectif des New Pornographers s’aventure en solo, il semble désormais inévitable qu’il en résulte un grand disque. Dans le cas de Dan Bejar, comme pour Neko Case, sa carrière isolée existait déjà bien avant le « super-groupe » canadien et il s’est avéré prolifique au possible en cette année 2006, délivrant aussi avec l’alliance Swan Lakes un disque complètement dingue. Sous le nom de Destroyer, le monsieur cisèle du rock aventureux, mais gorgé de points d’accroche sous forme de mélodies mémorables et de textes à reprendre en chœur. Si la créativité s’essouffle un peu sur la durée, il est facile de revenir auprès de cet album et de se jeter dans ses bijoux extravagants. |
16
Xiu Xiu
The Air Force
Avec une constance remarquable, Xiu Xiu s’évertue à sortir un grand disque par an. Pas de véritable métamorphose depuis les bases jetées par les premiers albums du groupe, mais une intensité et une folie jamais démenties, qui semblent s’affirmer et s’affiner à chaque nouvel effort. Moins contemplatif que La Forêt, The Air Force possède une grande variété sonique, passant du murmure angoissé à la démence électronique sans jamais se départir de son imprévisibilité. Le paysage dépeint par le duo demeure torturé et tortueux, d’une noirceur déstabilisante, mais d’une richesse sonore enthousiasmante. La formule commence à être connue et pourtant on est fasciné comme au premier jour. Quand Jamie Stewart s’essaie à une mutation pop telle que Save Me, on se dit que Xiu Xiu incarne toujours un certain avenir pour la musique de notre époque, avec au moins une bonne dizaine d’années d’avance sur son temps. |
15
Tom Waits
Orphans
Lorsqu’un grand malade comme Tom Waits vide ses tiroirs, il ne peut décemment pas le faire comme tout le monde. D’où ce Orphans, composé de trois disques, gorgés d’inédits (une quarantaine) et vaguement classés sous trois thèmes majeurs : les blues, les ballades et les expérimentations. M. Waits n’étant pas réputé pour sa faculté à respecter les genres (et c’est pour cela qu’on l’aime), ce rangement est largement discutable même si, ultimement, il dessert quelque peu l’ouvrage. Les albums de Waits sont des bonheurs car ils sont foutraques, à tous les niveaux. En essayant d’ordonner un peu, on flirte avec le répétitif, il manque certaines ruptures et contrepoints. Évidemment cela demeure fréquemment magnifique, en particulier le second disque et ses errances de bars enfumés, touchantes dans leur bienheureuse étrangeté. Comme Scott Walker, Tom Waits est un genre à lui seul, et il suffit de l’entendre faire la « human beat box » façon danse macabre sur Spidey’s Wild Ride pour reconnaître tout ce que l’on adore chez le bonhomme. Très copieux, et donc un peu épuisant sur la durée, Orphans se conçoit comme un petit dictionnaire du Waits dans le texte, à compulser occasionnellement. |
14
Belle & Sebastian
The Life Pursuit
L’évolution chez Belle & Sebastian est à l’image de leur musique, délicate, parfois presque imperceptible. Oui, leur album de 2006, The Life Pursuit, est une quasi révolution pour le groupe, mais une révolution minimaliste, un bouleversement microscopique qui ne viendra certainement pas séduire les allergiques aux mélodies fragiles et aux bizarreries apprêtées de Stuart Murdoch. Pour les autres, tout ce qui fait le charme de Belle & Sebastian est là, de la superbe ballade Dress Up In You à la perfection décomplexée de Another Sunny Day en passant par les gentils rocks à la manière de White Collar Boy. Le mélange de mélancolie et de soleil, incarné par exemple par Sukie in the Graveyard ou For The Price of a Cup of Tea, possède une beauté qui n’appartient qu’à ce groupe. Stuart Murdoch semble pouvoir composer des chefs-d’oeuvre mélodiques avec une innocence et une constance désarmantes. |
13
Islands
Return to the Sea
Le temps d’un album fantastique, The Unicorns avait fait trembler le petit monde du pop-rock bondissant. Après une série de concerts pathétiques et une séparation brutale, on pensait les deux créateurs du groupe brouillés comme des œufs, et pour longtemps. La sortie du Return to the Sea sous le nom de Islands est donc un miracle assez inespéré. Moins foutraque, plus construite, mais pas moins énergique et inventive que la musique des Unicorns, celle de The Islands se déguste comme du Champagne. Après l’ouverture épique des 9 minutes de Swans, ambitieuses et prenantes, on retrouve tout ce que l’on adorait chez les Unicorns avec la vaillance brinquebalante et primesautière de Humans. Et la suite est à l’avenant, avec le chaloupé Don’t Call Me Whitney ou le simplement génial Rough Gem. Un peu plus loin le complexe Where There’s a Will There’s a Whalebone est brutalement coupé par une partie de rap aussi inattendue qu’efficace. Return to the Sea est un jalon de créativité accessible et adorable. |
12
El Perro Del Mar
El Perro Del Mar
Quelle est triste Sarah Assbring, la chanteuse d’El Perro Del Mar, elle nous fend le cœur à chaque ligne de texte. Elle a beau nous clamer que « There’s a party going on », on jurerait qu’elle est au bord du suicide, le pistolet sur la tempe. Non, elle ne va pas sortir s’acheter des bonbons, mais plutôt de l’arsenic. Son détournement de la gaieté des 60’s est aussi délicieux que terrifiant, et c’est ainsi que l’antidépresseur n’en est que plus efficace. Sarah Assbring semble chanter pour éviter de sauter, en un grand numéro d’autosuggestion, forcément jamais niais, qui rend son propos d’autant plus efficace. Oui, la demoiselle est triste comme un saule, mais son chagrin lui déplaît, elle n’est pas là pour le faire partager, mais bien pour l’effacer, et de préférence, en balayant le notre au passage. |
11
Danielson
Ships
L’album de Danielson est un vrai petit bazar, un fourre-tout, un joyeux bordel sonore. On y croise tout autant un pipeau fou que du hard-rock lyrique (au sein du même morceau), des hurlements d’un chanteur à la voix de canard que des chœurs féminins plein d’ironie. Bien sûr, cela peut sembler assez effrayant de prime abord, en plus c’est du copieux, et pas forcément toujours très sympathique. Quelque part, aucune chanson ne fonctionne vraiment dans son intégralité (à part le génial Bloodbook on the Half Shell et le réjouissant Did I Step on Your Trumpet) mais par bribes, par instants de grâce, au détour d’une mesure. Ships n’est pas un disque « facile », mais au contraire intrigant, et on y revient régulièrement avec le même intérêt. |
10
The Fiery Furnaces
Bitter Tea
Sérieusement entamé par un concert parisien ignoble, l’amour que je porte aux Fiery Furnaces est suffisamment grand pour que je persiste à reconnaître en ce justement bien nommé Bitter Tea un admirable disque. Un peu minuscule face à la perfection de Blueberry Boat, mais largement assez timbré pour préserver l’émerveillement qui fait tout le prix du groupe. Malheureusement, le duo a mauvais caractère, et à force de s’entendre répéter qu’ils ne font pas du rock et qu’ils sont incapables de faire des morceaux simples et directs, les voilà qui nivellent sur scène tout leur répertoire vers une sorte de hardcore moche et agressif, bête et méchant. Le suicide artistique sera admiré par certains, mais dénoncé par la majorité. Ce que j’aime chez les Furnaces, c’est le côté adorable dissimulé dans la boîte à musique folle, la jolie voix d’Eleanor surnageant entre les rouages bidouillés par son frangin. L’imprévisibilité c’est la force des Fiery Furnaces, la supprimer c’est tuer la raison d’être du groupe. |
9
Asobi Seksu
Citrus
Asobi Seksu, voilà un nom qui sonne primesautier, et en même temps vaguement menaçant (ça pourrait être le patronyme d’un samouraï vindicatif). Un peu comme la musique du groupe, parfois bruyante, et parfois désarmante de joyeusetés pop. Mais l’album Citrus n’en est pas pour autant schizophrénique, au contraire, l’équilibre y est tout à fait naturel. Du larsen puis des bulles, des cris et des gâteries, on nous cloue au sol pour mieux nous faire rebondir. Forcément, ça peut désarçonner. Trop rose pour les amateurs de métal et trop agressif pour les amoureux des Beatles, la musique d’Asobi Seksu réclame de l’ouverture d’esprit et des conduits auditifs. Mais pour nous tenir par la main dans ses eaux houleuses, il y a des mélodies et une voix adorable, cela suffit largement pour en redemander, oui, oui, s’il vous plaît. |
8
Bonnie 'Prince' Billy
The Letting Go
The Letting Go porte fort bien son patronyme. En effet, Bonnie ‘Prince’ Billy, le pseudonyme derrière lequel se dissimule fréquemment le très productif Will Oldham, n’a jamais délivré un album aussi apaisé et aérien. Si la grâce a toujours été à ses côtés, elle était fréquemment plongée dans les ténèbres, en particulier dans son chef-d’œuvre le poignant I See a Darkness. Il reste bien ici des vestiges de ses tourments et de sa peur de la mort, comme sur les saisissants Cursed Sleep et The Seedling. Mais l’humeur générale est à la rêverie ou à la douceur, voire à l’élégie, aux intonations magiques, comme sur la chanson Then The Letting Go. Et on serait presque étonné d’entendre les chœurs féminins devenir des « dames blanches », par exemple sur God’s Small Song, si on ne se souvenait pas que lesdits ectoplasmes se révèlent être les annonciatrices de la mort. Toujours hanté Will Oldham ? Indéniablement. La majorité de The Letting Go peut se composer de ballades murmurées et de faibles rayons de soleil sur l’immensité d’un lac de montagne, il ne faut pas oublier qu’au crépuscule les brumes maléfiques envahissent les lieux… |
7
Jarvis Cocker
Jarvis
5 ans après la fin de Pulp, Jarvis Cocker revient enfin avec un véritable album solo qui sonne comme du Jarvis et qui en impose comme du Jarvis. Bien conscient que ses deux super pouvoirs demeurent son organe vocal et son écriture à nulle autre pareille, l’auteur se met en valeur avec faste et le brin de complaisance que l’on apprécie tant. Dès le premier morceau du disque, Don’t Let Him Waste Your Time, Jarvis fait son auto-parodie, rassasiant les fans et se délivrant ainsi du lourd passé au sein du groupe de Sheffield. Après ce n’est plus qu’une succession de tubes, qui, s’ils déçoivent un peu musicalement aux premières écoutes, imposent peu à peu leurs qualités mélodiques et surtout émotionnelles. Du tortueux Black Magic en passant par le doucereux mais menaçant I Will Kill Again jusqu’à l’hymne Cunts Are Still Running The World, l’album déborde de personnalité. Et les perles sont nombreuses : le très ludique et brutal Fat Children, l’étrange comptine malsaine Disney Time, le lyrique Heavy Weather et surtout le chef-d’œuvre Big Julie avec ses textes en forme de best of de ce que Jarvis peut faire de plus (im)pertinent sur les gens (extra)ordinaires. Et on réalise au final que, comme les disques de Pulp, c’est avec le temps que ce premier opus solitaire se révèle et s’adore, le découvrir en concert étant par ailleurs un excellent moyen de dévoiler ses trésors. |
6
The Pipettes
We Are The Pipettes
The Pipettes furent le grand rayon de soleil d’une année 2006 dominée par la mélancolie musicale. Avec une fausse naïveté désarmante, les trois chanteuses ont emballé la pop la plus évidente qui soit. C’est simple, à peu près toujours la même chanson, on peut faire des chorégraphies, tous les refrains sont irrésistibles, on a tous sa Pipette préférée et en plus ça dure 35 minutes donc on n’a même pas le temps de se lasser. Il n’y a que des tubes, du plus mignon (I Love You) au plus acerbe (One Night Stand) et tout cela sur la même tonalité charmante qui empêche le recul critique. La preuve, Pull Shapes est le single de l’année chez Edwood. |
5
Jens Lekman
Oh You're So Silent Jens
Jens Lekman est tout triste, personne ne l’aime, du moins il n’a pas de petite amie. Ça le rend aigri, et lyrique, il a envie de nous envoyer balader (dans son vindicatif Black Cab), mais il a surtout besoin d’en parler. Son disque You’re Silent Jens, compilation de singles et autres morceaux divers, est une longue plainte au clair de lune, il ne manque que le balcon et la mandoline. Ça sent le kitsch à plein nez et pourtant c’est fréquemment magique. Parce que le Jens a une voix à se damner, un organe de crooner, et même lorsqu’il entonne une ligne aussi grotesque que « It looks like someone spilled a beer all over the atmosphere » c’est juste sublime. Non seulement le bonhomme chante comme un demi-dieu, mais en plus il a le sens de la mélodie attachante, et ses marivaudages en deviennent des étoiles. |
4
Joanna Newsom
Ys
Pourrais-je jeter la pierre à l’étrangement charmante Joanna Newsom sous prétexte que sa voix s’égare parfois, au fil de son épique Ys, vers des sonorités voisines de celles de Bjork ? Si l’islandaise m’a souvent fait grincer des dents, elle n’a jamais approché, du moins pour mes oreilles, la grâce qui habite cet album anachronique et finalement intemporel. Car Ys aurait pu être composé il y a 30 ans, comme il y a peut-être 300. Instruments à cordes, pas de rythmiques, un découpage en cinq longs mouvements de durées inégales, la voix et des textes poétiques plus ou moins mystérieux, c’est ainsi que se présente la grande œuvre de Joanna Newsom. Si on se fie à la pochette, la demoiselle se rêve en dame moyenâgeuse et il y a du trouvère et de la chanson de geste dans Ys. Des bizarreries mélodiques et instrumentales qui semblent surgir d’un très lointain passé. Mais jamais le disque ne tombe dans le décorum d’heroic fantasy ou le poussiéreux complaisant, au contraire, Newsom et sa harpe, ses mandolines, violons, cithares et autres kazoos (si, si) semblent revenir à l’essence du folk, dans ce qu’il aurait de plus précieux (dans tous les sens du terme). Ys n’adopte jamais le schéma classique sous formes de chansons dictées par des refrains et des couplets, la structure n’obéit qu’à des règles fantaisistes, parfois volages, et les instruments sont conduits par la voix, en une progression d’un naturel surprenant. La musique de Joanna Newsom est une source d’eau claire qui s’écoule avec douceur (à part les rares écarts vocaux un peu aigres). Un achèvement artistique original d’où transparaît une beauté des plus inhabituelles.
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3
Neko Case
Fox Confessor Brings The Flood
La beauté irréelle ne fut finalement pas si difficile à atteindre cette année. Nous n’avions besoin que de la voix de Neko Case et de pousser l’écho jusqu’à ce qu’il résonne dans tous les recoins de l’appartement. De la country ? Peut-être, sans doute, peu importe, la chanteuse canadienne réinvente les grands espaces, en remplaçant l’Ouest sauvage par un rêve de cathédrale. Sur A Widow’s Toast, l’atmosphère évoquée pourrait laisser perplexe, comme une chanteuse de chorale yankee donnant un récital dans une abbaye irlandaise. Mais jamais Neko Case ne dépasse la limite entre la générosité et le grotesque, son amplitude vocale se pliant sans mal aux circonvolutions des morceaux les plus étrangement construits. Ce mélange entre la chaleur et la puissance un peu effrayante de la voix de la chanteuse et la richesse des compositions est la grande force de Fox Confessor Brings The Flood. Et si c’est un album d’ambiance, les chansons en elles-mêmes sont presque toutes accrocheuses, voire même entêtantes, comme le vaillant Hold On, Hold On ou l’étrangement nerveux The Needle Has Landed. |
2
Scott Walker
The Drift
Scott Walker est un genre à lui tout seul, inclassable, quasi impossible à définir sauf en abusant de qualificatif tels que grotesque, terrifiant, prétentieux, fou, morbide et forcément génial. Parce que tout aussi déplaisantes et maladives qu’elles soient, ses « chansons » exercent une fascination qui n’appartient qu’aux œuvres d’art les plus novatrices. Scott Walker crée dans un univers à part, en marge de tout ce qui peut se faire ailleurs, il ne connaît aucune autre influence que ses désirs et ses démons (qu’on imagine particulièrement monstrueux). Mais ce qui impressionne à l’écoute de The Drift, c’est à quel point cet homme ne possède aucun sens du ridicule, et se permet ainsi des audaces, et surtout un chant, inconcevables pour n’importe qui d’autre que lui. Pénétrer dans ce disque est sans doute l’expérience la plus étrange de l’année, l’une des plus inoubliables et enrichissantes, et bien sûr la plus effroyable. Tout n’y est que murmures fantomatiques, assertions menaçantes, déclarations d’amour nécrophiles, échos de mondes lovecraftiens et chaos silencieux entrecoupés de bruits cauchemardesques. On espère que monsieur Walker a planté de hautes et solides barrières entre l’auditeur et les créatures qu’il côtoie au sein de sa démence, car on apprécierait finalement fort peu qu’elles surgissent hors de nos enceintes torturées. |
1
The Knife
Silent Shout
La Scandinavie, et la Suède en particulier, fut une nouvelle fois largement à l’honneur en 2006. Finie l’époque où l’on se gaussait copieusement de Abba et de Ace of Base. Sans rien renier de son passé disco et populaire, la région offre désormais un choix impressionnant en matière de musique accessible, accrocheuse et novatrice. Le meilleur exemple en est le Silent Shout du duo The Knife, maelstrom d’influences, de recyclages et d’idées plus ou moins révolutionnaires. La principale de ses audaces, mais aussi la plus séduisante, est d’avoir demandé à la chanteuse Karin d’interpréter toutes les chansons (à part le duo Marble House), mais d’avoir rendu, par l’intermédiaire du mixage, sa voix toujours méconnaissable et différente d’un morceau à l’autre. Le résultat peut passer de l’envoûtant (Forrest Families) à l’effrayant (We Share Our Mother’s Health) ou au purement comique (le grotesque et jouissif One Hit). Si l’aspect expérimental de la démarche de The Knife est évident dès le crépusculaire Silent Shout, elle est rendue abordable par la simplicité des arrangements synthétiques et par l’efficacité mélodique de l’écriture. Les manipulations sonores couplées à l’immédiateté d’une musique très rythmée créent une ambiance fascinante et un vrai ludisme. Silent Shout est ainsi le seul album cette année à faire peur, à faire rire, à émouvoir, à faire danser, à surprendre, tout en même temps. En plus Forrest Families est devenue la nouvelle partition idéale de la conduite nocturne. Essentiel, donc. |
SINGLES
-10-
TV on the Radio – Wolf Like Me
Le plus amusant avec cette chanson de l’un des groupes les plus médiatisés de ces derniers mois, c’est que, comme le prouve le clip, il s’agit presque ici d’un hard rock des années 80. Oui, tout à fait, avec ce que cela suppose de grosses guitares, de grosse batterie et de chœurs conquérants. Certes, le temps a passé, et l’ensemble est plus déconstruit et farfelu, mais il reste l’immédiateté et un peu de ridicule.
-9-
Matthew Herbert – Something Isn’t Right
Le producteur habituel de Moloko a offert en 2006 un superbe album de disco/r’n’b qui parviendrait presque à me réconcilier avec un genre souvent sinistré. Des cordes omniprésentes à la Marvin Gaye, des voix chaudes et un sens du rythme qui donne envie de bouger. La grande classe, comme sur ce single, savant mélange d’ambiance cinématographique et de légèreté de piste de danse.
-8-
Girls Aloud – Biology
La meilleure chose jamais issue de la Star Ac’, Nouvelle Star et innombrables dérivés, demeure le groupe Girls Aloud. Cinq filles aux qualités (vocales et physiques) inégales et complémentaires pour lesquelles sont écrites des chansons entêtantes et parfois surprenantes, mais aussi des morceaux plus inattendus et audacieux. Bien plus intéressante que la plupart des autres discographies de stars des plateaux TV, l’œuvre des Girls Aloud demeure très hétéroclite, mais lorsque les donzelles mettent dans le mille cela peut donner cette Biology clinquante, vindicative et sucrée.
-7-
Sufjan Stevens chante Noël
Pas vraiment un single, mais une collection de courts disques de chants de Noël, enregistrés depuis quelques années par le petit chrétien qui dépeint si bien en musique les Etats-Unis. Sufjan a la foi, on ne sait pas s’il croit encore au Père-Noël, mais sa sincérité est totalement désarmante. On aimerait se gausser fortement de ses versions folkloriques et rigolotes de « Les Anges dans Nos Campagnes » ou de « Jingle Bells », mais en fait non. S’il assume pleinement et intelligemment les aspects les plus kitsch de certains morceaux (en se contentant de petits instrumentaux) il parvient à rendre touchantes les pires scies associées aux crèches, aux petits santons et à l’arbre enguirlandé. Sans être révolutionnaire musicalement, ces reprises ont de l’éclat et se révèlent, aisément, comme la musique de Noël la plus admirable de ces dernières années.
-6-
El Perro Del Mar – God Knows (You Have To Give To Get)
La version désenchantée des Pipettes c’est bien sûr Sarah Assbring et sa voix toute tristounette. Sarah aimerait bien comprendre pourquoi elle est toute seule ce soir, c’est vrai quoi, elle fait de jolies chansons, comme dans les 60’s, avec une belle production, et puis elle a de la grâce, la demoiselle, elle a un peu tout pour elle, oui, le talent en supplément. Mais non, il n’y a personne, le téléphone ne pleure même pas, il ne sonne pas. Elle réfléchit alors et se dit que pour recevoir, il faut savoir donner. Et si tout était de sa faute ? C’est encore plus pathétique. Mais elle va nous murmurer ses remords, sur un petit air charmant et rêveur. Cette fois, c’est sûr, ça va marcher, on croise les doigts. Et pourquoi ne pas la caser avec Jens Lekman ?
-5-
Lily Allen – LDN
Si le monde entier l’a découverte à l’aune de l’adorablement revanchard Smile, la perle de la chipie Lily Allen c’est plutôt ce LDN, mélange de samples ensoleillés et de paroles désabusées. C’est frais, entraînant, impertinent, ça a du charme et c’est même entré très haut dans le top 50. Pour une fois que Edwood fait dans le populaire…
-4-
The Pipettes – Your Kisses Are Wasted on Me
Les filles ne se laissent plus faire, l’émancipation est arrivée depuis longtemps et il est toujours bon de le rappeler. Surtout lorsque l’on se nomme les Pipettes, qu’on porte des robes à pois, des gants blancs et des serre-têtes rouges. Gentils clichés issus d’un numéro de Life de 1955 ? Certainement pas, la musique est (presque) d’époque, mais le propos et l’attitude sont de 2006. Quand elles disent non, c’est non. Quand elles disent que c’est fini, it’s over. Et quand elles disent qu’elles sont les plus belles filles que l’on ait jamais vues, elles exagèrent. Mais on les aime aussi pour ça. Alors si les baisers comptent pour des prunes quand le cœur est brisé, le tout est de savoir le dire, avec l’art et la manière. Un martèlement guerrier pour bien faire entrer l’idée dans la tête du boyfriend jetable, puis une envolée lyrique pour rappeler que ce sont des petites filles tendres, au fond, et que c’est mal d’embêter les filles tendres.
-3-
The Knife – We Share Our Mother’s Health
Plus représentative de la folie furieuse du duo suédois que le crépusculaire Silent Shout, cette chanson ménage à la fois une invitation vicieuse à la danse et l’essence grotesque de la musique de The Knife. Pas vraiment de choix, soit l’expérience est rejetée en bloc (« Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? »), soit c’est le coup de cœur total.
-2-
I’m From Barcelona – We’re From Barcelona
L’Europe n’est donc pas morte, il reste même une mondialisation ludique, un grand bonheur un peu baba cool mais pas non plus endormi sous les volutes de fumée. Le single exprime la joie d’être ensemble avec une évidence qui fait monter le sourire aux lèvres. Festif et hédoniste, We’re From Barcelona se veut un hymne sans autre prétention que de donner envie de chanter tous ensemble et il y réussit avec brio.
-1-
The Pipettes – Pull Shapes
Le single de l’année pourrait se résumer comme l’idéal pop, l’incarnation de la perfection. Cela dure trois minutes tout juste avec une progression constante dans le plaisir, une succession ininterrompue de gimmicks et de slogans à reprendre en chœur (« What do you do when the music stops ??!!??»), des chœurs féminins partout (elles ne sont que trois ?), des cordes en torrent, des breaks, des tremplins, des bonds et des rebonds. Comme le Heartbeat de Annie, Pull Shapes célèbre le plaisir de danser, à deux, à plusieurs, partout, n’importe où et sur n’importe quoi. Et en plus elles font la chorégraphie en chantant. |
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