Film univers, film cerveau comme le disait Deleuze, trésor de complexité visuelle et scénaristique, Batman Returns n'est pas une oeuvre que l'on peut se vanter de maîtriser dès les premières visions. Ce n'est pas non plus un divertissement qu'il faut survoler, sous peine d'en demeurer exclu à jamais. Je ne suis pas pour la dissection universitaire des œuvres d'art, c'est pourquoi dans cette page entièrement consacrée au chef-d'œuvre de noirceur de Tim Burton et venant compléter ma chronique du film, les commentaires ne viendront jamais écraser le film. |
Batman Returns - Scénarios
Là c'est un plaisir d'esthètes que je vous propose. Deux versions du scénario de Batman Returns. La première entièrement de Daniel Waters (c'est dire si c'est un plaisir) avec un grand nombre de scènes et surtout de dialogues absents de la version finale du film. Cette version est particulièrement intéressante car elle prouve qu'une grande partie de la noirceur du film provient de Waters. En cela la scène finale est encore plus dure. Pas d'ultime apparition de Catwoman et surtout une ultime image plongée dans les ténèbres.
La deuxième version est toujours de Waters mais avec une bonne couche de réécriture par Wesley Strick. Et ce n'est pas encore tout à fait ce que l'on peut voir aujourd'hui dans le film. En particulier, encore une fois, pour ce qui est de la fin. Il y a toujours la séquence avec Gordon et le Maire qui se demandent si Batman pourra leur pardonner leurs erreurs ("sans doute pas, mais il nous aidera toujours"). Certes cette séquence aurait coupé le rythme du final, très introspectif, mais elle est admirable. Il y a aussi l'échange Bruce Wayne/Alfred dans la limousine. (Alfred : "Je devine que cela sous-entend que nous avons gagné." Wayne : "Oui, je suppose que c'est ce que nous avons fait"). Cet échange, primordial en fait, totalement dans l'esprit du film, est cruellement absent de la version finale. Et l'on comprend ainsi pourquoi Burton croit que Batman Returns aurait pu être une œuvre encore plus accomplie. Quant à l'apparition finale de Catwoman, elle n'est toujours pas dans cette ultime version du scénario. Apport de Burton ou de la production ? Je préfère laisser la question en suspend...
Bon je ne le cache pas plus longtemps, c'est long et c'est tout en version originale, pour les fans hardcores, bien évidemment.
Script du Catwoman écrit par Daniel Waters pour Tim Burton. Projet à jamais abandonné.
Etudes sur les personnages
Bruce Wayne / Batman
Première partie : Dans les méandres de Bruce Wayne
"Au lieu de tomber dans les clichés des super-héros, j'avais une bonne vision de ce que pourrait être Batman sur grand écran. C'était une bonne occasion de suivre mes idées et mon instinct."
Et oui, le Michael Keaton tant décrié par la critique et les fans pour sa performance (admirable) dans le premier opus, revient. Plus à l'aise, aidé par un scénario de haute tenue, Keaton est le parfait Bruce Wayne maître de la technologie et des gadgets mais dépassé dès que les sentiments et/ou l'imprévu s'en mêlent. Sous la baguette burtonienne et avec l'apparence de Keaton, Batman devient l'anti super-héros. Toujours à la limite d'être entraîné par le Mal, engoncé dans un costume étroit et dans un code moral encore plus étroit, Batman n'est qu'une ombre. L'ombre de la loi dans un monde sans loi, l'ombre de la justice dans un univers forcément injuste dans lequel les méchants ne le sont pas vraiment, les pourris ne sont jamais punis et les histoires se terminent mal (forcément, mal...). Triste, solitaire, dissimulé derrière une façade aussi physique (le gothique Wayne Manor, loin de Gotham City) que psychologique (le dandy séducteur, aucun rapport avec le "vrai" Bruce Wayne), ce super-héros passe ses journées dans un environnement dingue où se côtoient technique de pointe et archaïsme.
Clairement, Bruce Wayne est un inadapté. On veut nous faire croire qu'il sait se débrouiller en affaires mais on n'imagine sans peine qu'il est plutôt aidé par une armada d'avocats. Non, Wayne ne sait (presque) rien faire, pour preuve l'omniprésence du majordome Alfred qui fait tout (ou presque), de la cuisine au dépannage et même dans le domaine des conseils existentiels. La relation Alfred/Wayne est délicatement émouvante, sans forcer, sans grandes effusions (je ne suis pas du tout en train de viser le consternant Batman et Robin, là, pas du tout du tout...). Au contraire, en peu de dialogues, tout est dit et la présence du vieux serviteur paternel n'en est que plus forte, plus touchante.
Bruce Wayne rêve d'une vengeance impossible, même si les scénaristes lui ont offert un coupable croquignolesque (le Joker du premier opus), le meurtre des parents est bien plus symbolique que cela. Tel un Maniac Cop, Batman rôde en quête de Mal, sa nourriture favorite. Plus le méchant est méchant, plus Batman exorcise sa propre part d'obscurité. Pour preuve, confronté à des méchants qui n'en sont qu'à moitié (dans Batman Returns, donc), il se perd, passe de tous les côtés de la barrière, s'accrochant désespérément à des vestiges d'ordre au moment où tout sombre dans le chaos (le final hallucinant du film). En fait, pendant tout le film, Batman semble faire confiance aux scénaristes hollywoodiens. Sur la fin il semble se dire : "bon, moi je suis le gentil, lui c'est un méchant, il meurt, on s'en fout ; lui c'est un méchant mais moins méchant, comme on est dans un film tout public, je m'en vais te l'arrêter ; elle est pas vraiment méchante alors elle va revenir du bon côté, j'ai vu ça dans une série TV." Oui, mais non. En quelques minutes, tous les clichés s'effondrent, toutes les situations sont renversées.
Et lors de la dernière séquence du film, c'est bien plus que du doute ou de la solitude qui habitent Bruce Wayne, qui n'en est pas, il est vrai, à un traumatisme près. En cela, Batman Returns aurait très bien pu être l'ultime film de la série (un seul film en fait, le premier étant juste... une introduction). L'image d'une Catwoman surgissant intacte, irréelle, purement onirique, en ultime image du film est en cela très claire. L'univers des Batman touche à son point limite, quand la rupture entre un réel déjà surréaliste et le pur Fantastique, se produit. Batman 3 aurait du être une folie surréaliste, un immense cartoon barbare et psychanalytique. Batman 3, avec un Burton libre et motivé au commande, aurait pu être encore plus monstrueux, encore plus génial que Batman Returns. Oui, Batman Returns offrait les possibilités d'une suite, mais une suite impossible. Car jamais un studio n'aurait accepté de produire (pour un budget qu'on imagine faramineux), une œuvre hors normes que Batman Returns ne fait qu'annoncer. Un délire surréaliste de 100 millions de dollars... En fait, ne nous plaignons pas, avec la filmographie de Tim Burton nous avons déjà quelques beaux délires pas totalement surréalistes mais presque, à gros budget.
Et Batman dans tout cela ? Il n'est plus qu'une toile de fond. Il est l'indispensable touche de moralité dans un monde perverti jusqu'à l'os. Car la pièce sans son revers, n'existe pas. Le Mal sans le Bien, n'est pas le Mal. Donc Batman est indispensable, mais le moins présent, le plus transparent, le plus réceptif possible. Et son attirance pour Selina Kyle n'est pas fortuite, chacun se nourrissant de la dualité, des tourments de l'autre. Une relation ouvertement sado-masochiste (avec ou sans les masques), sur le fil du rasoir, entre le Bien et le Mal (par-delà ?). Une telle histoire d'Amour (avec un grand A ? Avec un grand A, car purement Romantique, avec un grand R), ne peut donc pas se dérouler comme les autres. Rien ici ne correspond au canon de l'amourette obligatoire dans le film hollywoodien. En apparence, peut-être... en apparence, toujours en apparence... Et l'on sait combien dans les films de Burton l'apparence est trompeuse (vous vous souvenez d'Edward ?). Comme chez Lynch, les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être. La normalité est le danger, l'enfance est le monde de la souffrance, etc...
Bruce Wayne, financier avec des principes (anormal, encore), a la morale d'un héros à l'ancienne et se retrouve perdu dans l'univers cauchemardesque (le monde réel mais en plus stylisé) de Burton. Le choc est inévitable, Batman et Batman Returns le raconte avec force détails. Le monde n'est pas fait pour les super-héros, comme il n'est pas fait pour les supers-vilains tragiques. Le monde est fait pour les Max Shreck, pas pour les Pingouins. Le PDG mafieux remplace le gangster des débuts de la BD, c'est le choc des cultures, comme dans Dark Knight, Batman est définitivement largué par une époque qui n'a plus besoin de super-héros avec des masques. L'époque est au Bruce Willis et Keanu Reeves, plus au grande figure damnée. Batman Returns est un peu le Crépuscule des Dieux des super-héros. C'est pourquoi on se demande encore à quoi aurait bien pu ressembler le Superman burtonien... Superman Reborns ? La résurrection des Dieux ?
Dans la scène admirable du bal masqué, bourrée de symboles jusqu'à l'overdose, les vrais monstres, sans masque, sont les exclus. L'éclairage, fort judicieux, donne aux visages de Bruce et de Selina des ombres d'outre-tombes. Un critique américain, moins "aveugle" que ses confrères, avait fustigé Batman Returns pour être morbide et dépressif. Pour moi ce sont plutôt des qualités, enfin, dans ce cas particulier. Pour une fois le terme d'oeuvre crépusculaire n'est pas galvaudé. Batman Returns est un incroyable voyage aux sources des mythes modernes mais aussi jusqu'aux abords de leur déchéance. Les héros ne sont plus ce qu'ils étaient et en cela c'est (attention ce que je vais dire est très caricatural) une pure œuvre de fin de siècle. A jamais solitaire, le héros, qu'il soit super ou non, ressasse ses doutes et ses fantasmes. Son combat est-il voué à l'échec ? L'image d'un Amour le poursuit... Batman Returns, comme Edward Scissorhands, comme The Lovers, comme Heavenly Creatures, est l'un des Chefs-d'Oeuvre du cinéma romantique des années 90 (et du siècle entier, d'ailleurs). Je ne sais pas si Burton a consciemment créé une œuvre aussi riche, mais à la lecture, elle se révèle sous ce jour ; alors, inutile de la dénigrer, il vaut mieux en profiter au maximum.
Deuxième partie : Michael Keaton et Batman
Après l'expérience éprouvante mais terriblement enrichissante et gratifiante du premier Batman, Keaton est prêt à suivre de nouveau Burton dans une séquelle encore plus démesurée. Pour les fans du Comic, on sait que Keaton est une sorte de cauchemar. Pour interpréter Batman, ils imaginent plus un Schwarzy ou un Jean-Claude Vandamme (ben voyons), mais là nous sommes dans le domaine de l'incarnation physique, et Burton a préféré miser sur une incarnation psychologique. C'est pourquoi Keaton est, et d'autant plus dans la suite, un Batman parfait. Pour preuve sa première apparition, en attente dans les ténèbres de son manoir, en noir et bleu, en plein pose mythique. Batman n'est pas un super-héros bondissant, boy-scout et jamais avare d'une bonne blague, non, Batman est un monstre du bon côté de la force. Il n'a aucun super pouvoir, au contraire, à part sa fortune, Bruce Wayne n'a vraiment pas grand chose pour lui. Et Michael Keaton est impeccable pour donner à Wayne des allures d'être humain fasciné par le mal, dépassé par le monde extérieur et qui essaie tant bien que mal d'afficher une certaine confiance.
"Quand j'ai lu le scénario de Batman, en considérant qui était impliqué dans le projet, je me suis dit que cela allait être énorme. Et de nos jours, "énorme" représente beaucoup de choses pour un acteur. Si Batman était un succès, il serait un énorme succès. Mais si c'était un échec, ce serait un énorme échec. Et pas seulement pour le film mais aussi pour moi."
Dès le premier film, Keaton est donc tout à fait conscient des risques qu'il prend à s'embarquer dans le bateau pas vraiment insubmersible de Burton. C'est pendant le tournage (en Angleterre, en plus) de Batman que les premiers avis négatifs, totalement a priori, ont commencé à se faire entendre aux USA.
"Quelque chose dans ces attaques a réveillé en moi ce que j'appellerai une saine "attitude"(...). J'ai silencieusement adoré le défi, et j'étais déterminé à prouver que je pouvais le relever."
Finalement Batman est le succès historique que l'on sait et même les critiques se mettent à apprécier la performance de Keaton. Suffisamment en tout cas pour que le retour de Batman se déroule avec le même interprète.
"Quand vous êtes dans le costume, vous percevez et jouez différemment. Vous êtes très isolé dans le costume de Batman, ce qui est excellent. Sur le premier Batman, j'ai vraiment utilisé ce fait pour créer le personnage, qui se sent couper du monde extérieur."
Résultat des plus convaincants, comme nous l'avons vu plus haut.
Comme Pfeiffer, Keaton a suivi un entraînement physique relativement important. Mais là encore, l'avantage des héros masqués, c'est que la doublure ne se voit pas des masses.
"Pourquoi est-ce que je revient dans le costume de Batman ? Et bien, je n'ai jamais interprété le même personnage deux fois, c'est un défi, et c'est très intéressant de le relever jusqu'au bout. De plus, Tim a embarqué tout le monde dans un voyage fantastique... et je suis entièrement avec lui dans sa quête."
Voilà des propos fort louables, surtout qu'être en tête d'affiche sur une production telle qu'un Batman ne se refuse pas. Bien, je vais parler un petit peu de la carrière de Michael Keaton, acteur admirable pour son éclectisme. S'il est remarqué dès son premier rôle dans Nightshift en 1982, il faut attendre 1988 et le Beetlejuice de Tim Burton pour que le nom de Michael Keaton devienne populaire auprès du grand public. Il faut dire que sa performance dans le rôle de Betelgeuse est anthologique. Dès l'année suivante il rempile aux côtés de Burton pour un rôle diamétralement opposé, celui de Bruce Wayne/Batman, donc. Il est ensuite un grandiose psychopathe dans Fenêtre sur Pacifique (1990). Avant de revenir dans le bien nommé Batman Returns, que tout le monde connaît normalement par cœur maintenant. Il joue les guest stars dans le Beaucoup de Bruit Pour Rien de Kenneth Branagh en 1993, avant de trouver un excellent rôle dans le Journal de Ron Howard en 1994. Son film suivant, le superbe Multiplicity du grand Harold Ramis, lui permet de délivrer une performance hallucinante (4 rôles... parfois en même temps à l'écran !). Tarantino lui offre ensuite un second rôle dans son chef-d'oeuvre Jackie Brown en 1997. Puis il revient au rôle de psychopathe génial pour l'Enjeu. Avant de tourner une gentillette comédie familiale, Jack Frost en 1998. Eclectisme remarquable comme je le disais plus haut.
Bon, il faut une conclusion, là ? Je n'ai pas grand chose d'original à dire, on en revient toujours à l'habituel : Michael Keaton EST Batman. Mais il n'est pas seulement Batman, il est aussi Bruce Wayne, ce qui est peut-être le plus important. Quand on voit Val Kilmer inexistant dans Batman Forever et George Clooney totalement parodique dans Batman et Robin, on comprend pourquoi Burton ne veut plus entendre parler de Batman de près ou de loin sans son Keaton. Au point où nous en sommes, il ne reste plus qu'une hypothétique adaptation de Dark Knight par Clint Eastwood pour relever le niveau de la franchise Batman.
Selina Kyle / Catwoman
Première partie : Catwoman et Michelle Pfeiffer
"Pour moi, Catwoman détruit tous les stéréotypes concernant la condition féminine. Elle était une héroïne primordiale de mon enfance."
C'est ainsi que Michelle Pfeiffer présente le personnage de Catwoman et son attachement pour cette icône démesurée de la femme libérée. On sait que le premier choix de Burton pour le rôle fut Annette Benning, qui quitta le plateau du film en larmes, à cause de sa grossesse (tout était donc la faute de Warren Beatty). On sait aussi que Catwoman fut le rôle le plus convoitée par les actrices hollywoodiennes en 1991. L'anecdote d'une Sean Young se présentant aux studios Warner dans un costume de femme-chat, est restée célèbre. Finalement Michelle Pfeiffer l'emporta et il est évident aujourd'hui qu'elle était la seule à pouvoir incarner Catwoman sur grand écran et on plaint sa (possible) succession.
"J'avais l'habitude de regarder la série TV et d'attendre qu'elle apparaisse à l'écran, et elle n'était jamais à l'antenne suffisamment longtemps à mon humble avis."
Michelle Pfeiffer fait ici référence à la série TV des années 60, très kitsch et totalement parodique, dont le générique, les inserts durant les combats et les guest stars sont légendaires. Catwoman fut interprétée par trois actrices différentes. Commençons par la fin avec l'adaptation cinématographique de la série et l'unique apparition de Lee Meriwether dans le rôle. Eartha Kitt, fut une Catwoman éphémère (trois épisodes) et assez fade, il faut bien l'avouer, car elle assurait la succession de ni plus ni moins que Julie Newmar. Julie Newmar, à laquelle il faudrait sans doute dédier un site entier, qui fut durant 12 épisodes l'incarnation parfaite de Catwoman (la noirceur en moins et l'humour burlesque en plus). Divinement belle, athlétique et sexy, composant avec un ludisme non dénué d'audace (pour l'époque), Julie Newmar a traumatisé au moins trois générations de spectateurs. C'est pourquoi elle s'impose aux yeux de Pfeiffer, comme LA référence absolue.
"Quand le tournage du premier Batman commença, j'ai pris contact avec des personnes travaillant sur le film et je leur ai demandé de dire à Tim Burton que je voulais jouer Catwoman. J'ai supplié : par pitié, je le ferais gratuitement ! Une seule scène, une apparition... n'importe quoi !"
Un exemple de plus pour démontrer la fascination exercée par ce personnage brisant tous les interdits avec une malice inimitable. Michelle Pfeiffer était prête à tout, et elle le démontra avec brio en prenant des cours d'arts martiaux et de maniements du fouet. Évidemment, dans certaines scènes du film, elle est doublée (aucune importance de toute façon), mais elle a accompli un travail louable pour se fondre à la fois psychologiquement et physiquement dans le personnage. D'ailleurs j'en profite pour sortir cette remarque, limite culte, du "professeur de fouet", Anthony De Longis.
"Michelle se sert d'un fouet exactement comme le ferait Catwoman. C'est sensuel, fascinant, sexuel et dangereux. Michelle et le fouet sont vraiment complémentaire. Ses mouvements sont uniques, elle accomplit des choses qu'Indiana Jones n'a jamais imaginé."
En voilà un qui a bien saisi tout l'intérêt du personnage... Dans le même style langue de bois (pardon, je blasphème mais le marketing hollywoodien n'est jamais synonyme de finesse), voici les propos de Kathy Long qui a entraîné Michelle pour les arts martiaux.
"Michelle est une grande perfectionniste. Si elle ne réussit pas la première fois, elle va recommencer autant de fois qu'il le faudra. C'est une femme dotée d'une incroyable détermination."
Oui, là, ça touche au comique, parce que Michelle Pfeiffer, toute actrice géniale qu'elle est, n'a rien d'une star du cinéma d'action et ne tiendrait pas trois rounds face à Maggie Cheung ou Michelle Yeoh (par exemple). Pour continuer dans l'humour, je pourrais vous traduire mot à mot ce que raconte le livre du film, mais là ça deviendrait assez gênant. En gros c'est : "Michelle Pfeiffer, actrice sublime, talent sans limite, hyper populaire, arrive à faire du kickboxing dans un costume sexy, etc...". Ouais, bon, je comprends pourquoi il y a eu quelques problèmes de marketing au moment de la sortie du film.
Autre anecdote amusante, outre le fait qu'il y avait une bonne dizaine de costumes de tailles différentes (plus serrées pour les gros plans, plus amples pour les scènes d'action), c'est celle du petit oiseau du Pingouin. Michelle a parait-il improvisé cette scène, moui... Une telle blague vulgaire provient sans doute de ce dingo de Daniel Waters, ou alors Michelle était vraiment parfaitement dans l'esprit de son rôle.
Je vais quand même en profiter, comme Michael Singer, pour placer quelques mots sur la filmographique de Michelle, très inégale, il faut bien le reconnaître. Son premier film notable est l'inénarrable Grease 2 (1982), suite du non moins inénarrable Grease (the word is). Puis elle enchaîne avec une véritable œuvre culte, le remake de Scarface (1983) par Brian De Palma. Bon film qui a pourtant pris un terrible coup de vieux, superbe performance de Michelle, écrasée par la présence de Pacino, il faut l'avouer. Ensuite, on peut noter l'excellent Ladyhawke (1985), film fantastique médiéval, très beau, intelligent, palpitant et tout et tout. De plus Michelle en apparition nocturne est magnifique. Puis ce sont les hilarantes Sorcières d'Eastwick du grand Georges Miller avec le non moins grand Jack Nicholson. C'est une comédie fantastique potache, diaboliquement ludique, qui est un bonheur à revoir de temps en temps.
Michelle enchaîne encore quelques films inutiles, dont le soporifique Tequila Sunrise (1988), avant de trouver la gloire avec Les Liaisons Dangereuses (1988) de Stephen Frears. Son interprétation sublime de Madame de Tourvel lui vaut une nomination aux Oscars. Après cette indéniable réussite, elle enchaîne avec un premier rôle fascinant dans Susie et les Baker Boys (1989), pour lequel elle chante aussi admirablement bien. Les quelques œuvres suivantes ne sont pas très brillantes, La Maison Russie, Love Field, Frankie et Jonny (film raté mais belle performance, il faut le dire). Enfin arrive Batman Returns et l'incarnation absolue de Catwoman. Mais aussi le splendide Le Temps de l'Innocence de Martin Scorsese (avec Winona Ryder !), démontrant définitivement que Michelle porte le costume d'époque comme personne. (Kate Winslet le porte bien aussi, c'est vrai). Puis c'est le déclin, doucement mais sûrement. Un Wolf (1993) à moitié réussi, un Esprits Rebelles (1994) parodique, des mélodrames et des comédies romantiques à la pelle (le syndrome Meg Ryan-Julia Roberts-Sandra Bullock, au secours !). Tout n'est pas nul, loin de là et Michelle reste une grande actrice phénoménalement belle, mais bon... On attend mieux, logiquement. Après quelques années loin des plateaux, la comédienne est revenue pour quelques seconds rôles mémorables, en particulier dans Stardust, Hairspray, et, à nouveau, chez Tim Burton pour Dark Shadows.
Encore une citation Pfeifferienne pour bien démontrer que l'ampleur de Batman Returns n'échappait pas seulement à Burton mais aussi aux acteurs :
"Le personnage de Catwoman/Selina Kyle incarne la dualité, et je pense que la plupart des gens - en particulier les femmes - ont des difficultés à accepter leur face obscure. Catwoman est un personnage incroyablement puissant, émouvant, amusant et très touchant. J'ai adoré l'interpréter."
Oui, c'est un peu cours, mais finalement c'est exactement cela. Je ne suis pas sûr que Michelle ait disséqué Catwoman autant que je l'ai fait (arrêtez de rire au fond !), mais j'aime beaucoup son résumé. Et le film montre bien que Michelle s'est beaucoup amusée dans ce rôle. Et bien je l'affirme ici, nous aussi Michelle on a adoré te voir interpréter Catwoman.
Deuxième partie : Autour, sur et dans Catwoman
Bien, il reste sans doute des choses à ajouter sur le sujet. Mais j'ai déjà beaucoup discouru de ce personnage si riche, sur ma page de commentaires. Retournez-y si vous avez l'impression d'avoir raté quelque chose. Tiens, ça me fait penser que je n'ai pas vraiment insisté sur l'aspect le plus populaire de Catwoman, son incarnation de la Femme Libérée. Aspect tout à fait présent, mais qui ne me semble pas être le plus primordial (même s'il est souvent présent dans l'univers burtonien). De plus, pour ce qui est des femmes libres, le définitif Faster Pussycat Kill Kill ! de Russ Meyer avec son trio de déesses monstrueuses et castagneuses, dépasse la finalement bien gentillette Selina. Non, Catwoman n'est pas un symbole du mouvement de libération de la femme, c'est bel et bien un dérivé des maîtresses SM qui peuplent les fantasmes masculins et féminins (si ! si ! féminins aussi). On sait que Burton aime les femmes fortes et tourmentées (aussi bien psychologiquement que physiquement), mais qu'il avait avant tout en tête l'image du monstre de Frankenstein. Catwoman c'est la "mort qui marche" et pour Burton, ce personnage ne peut exister que dans le cadre d'un corps blessé et recousu. En cela le personnage est parfait, Burton pouvant justifier ce statut de mort-vivant par l'intervention du mythe des neuf vies du chat. Utilisées de manière bouleversantes dans le film, les neuf vies permettent de "crédibiliser" ce qui serait autrement de pures ficelles de scénario, voire de pures invraisemblances. On sait que la plupart des scénaristes hollywoodiens ne s'embarrasseraient pas de ce genre de détails pour justifier des scènes d'action surréalistes et surtout ils n'iraient pas chercher un "prétexte" aussi poétique.
La richesse de Selina Kyle est sans limite, chacun de ses actes ouvrant les portes de désirs inconscients ou de mythes primordiaux (pléonasme). L'imagerie des super-héros forme la base des légendes modernes (des légendes urbaines, comme disent les universitaires) et Catwoman est une clef de voûte de cette imagerie. Car elle est le personnage féminin le plus complexe de cet univers essentiellement masculin. C'est une femme forte et révoltée dans le monde machiste des Superman et autre Captain America (on y revient, donc). Mais je fais du révisionnisme, là. La Catwoman créée par Bob Kane n'est pas du tout ainsi. La Catwoman interprétée par Julie Newmar, non plus. C'est une voleuse de charme, certes, mais sans grande envergure. Elle essaie de séduire Batman mais le côté SM et cruel n'est explicité que bien plus tard. Comme pour le premier film, l'influence de l'oeuvre de Frank Miller est évidente. Si Catwoman est quasi absente du Dark Knight (elle est présentée comme vieille, solitaire et avec un sérieux problème de poids, la plus terrible relecture d'un personnage de Batman, d'ailleurs), c'est le même état d'esprit qui domine Batman Returns. Moins que dans Batman, mais toujours en filigrane. Catwoman et Batman ne sont voués qu'à la solitude et le final de Batman Returns pourrait presque ouvrir directement sur une adaptation de Dark Knight (certes, il manque Robin, mais franchement, on s'en fout de Robin et de son imagerie homosexuelle kitsch). Bon, certes, comme tout le monde, Batman a des tendances gay, mais ce n'est pas la peine d'en rajouter, on l'a déjà bien compris dans ses relations avec la gente féminine.
Où en étais-je ? Sans doute une nouvelle fois perdu dans des extrapolations débordant sur des parallèle entre Catwoman et les déesses gréco-romaines (Catwoman est toutes les déesses en une, Aphrodite, Athéna, Artémis, Héra et même Perséphone (descendu aux Enfers sans être morte). Mais bon, là j'avoue que ça tournerait un peu au vice et que je finirais sur les bancs d'un amphi quelconque en train de faire un cours sur "La Femme Libre et la Mort, une approche comparative du mythe de Catwoman." En fait c'est une bonne idée, il faudra que j'en reparle.
Je n'ai pas mentionné la Catwoman originelle, ni sa postérité dans le monde des Comics (la principale caractéristique de cette Catwoman de papier c'est que son tour de poitrine augmente au fil des ans jusqu'à atteindre des proportions hallucinantes, tiens, on revient à Russ Meyer, je vous jure, on voit que ce ne sont pas des femmes qui dessinent ces Comics). Un comble quand on pense à Michelle Pfeiffer. Je peux aussi toucher un mot sur la Catwoman de la très réussie série animée des années 90. Fortement influencée par celle de Burton, elle perd quand même quasiment toute sa dualité et tous ses tourments. Bien belle, mais bien fade aussi.
Et avant d'en finir, j'aimerais quand même glisser un mot sur le film Cat People (La Féline) du génial Jack Tourneur et qui semble être plus qu'une inspiration pour toutes les femmes-chats depuis 1942. Le Fantastique y est traité avec une intelligence, à la fois de mise en scène et scénaristique, phénoménale. Le film fait peur, très peur, le film émerveille, le film émeut, le film hante. La trilogie Cat People, Vaudou et Rendez-Vous Avec la Peur (peut-être le film le plus terrifiant de l'histoire du cinéma), tous trois de Tourneur, a posé les limites de l'indicible et de l'effroi sur grand écran. Et le personnage principal possède des peurs et des tourments qui ne sont pas si éloignés que cela de notre Catwoman.
Et on peut aussi rêver sur le fameux Catwoman entièrement dirigé par Burton mais qui semble plus un fantasme de fans qu'une réalité probable. Personne à Hollywood n'aurait le courage de mettre en chantier une telle œuvre. De plus, Michelle Pfeiffer est définitivement trop... euh... ancienne pour reprendre le rôle. Et à l'heure actuelle, on voit mal qui pourrait être une Catwoman aussi grandiose (Mindy Clarke ? Ah oui... Mindy Clarke, je suis d'accord, mais je dois bien être l'un des seuls...)
Au final, et après avoir longtemps été le projet chouchou d'Ashley Judd, c'est Halle Berry qui fut la nouvelle Catwoman, dans un nanar de sinistre mémoire. Bien des années plus tard, ce fut au tour d'Anne Hathaway, choix parfait, qui demeure le meilleur aspect du médiocre The Dark Knight Rises de Christopher Nolan.
En conclusion (provisoire, forcément provisoire) que l'on soit homme, femme ou entre les deux (le plus probable), Selina Kyle possède un incroyable pouvoir de fascination, conscient et surtout inconscient. Elle possède la force des personnages mythiques qui incarnent avec brio un grand nombre de thèmes, de fantasmes, de peurs, de rêves... C'est donc un pur personnage burtonien, l'un des plus riches, l'un des plus bouleversants, l'un des plus sublimes.
La sortie de Batman Returns
En 1992, Batman Returns est le blockbuster estival de Warner Bros qui espère rééditer l'explosion du premier opus, trois ans plus tard. A cet instant tout se déroule comme si tout le monde percevait le film au premier degré ; les distributeurs, les critiques et la majorité du public laisse Batman 2 s'installer comme un action movie de base. Le film est un succès énorme qui terminera 3e du box office US de 1992 derrière Aladdin et Maman J'ai Encore Raté l'Avion, avec un total de 162,8 millions de dollars, devançant ainsi L'Arme Fatale 3 et Des Hommes d'Honneur. Après le passage de Titanic et de La Menace Fantome, Batman Returns détient encore un record : celui du plus grand nombre de salles au moment de sa sortie. En effet le film a été distribué dans 3 700 salles le jour d'ouverture.
Au final Batman Returns a rapporté moins que Batman mais a surtout créé une polémique après coup, lorsqu'une partie du public américain (majoritairement les bons vieux parents réactionnaires) a réalisé que ce n'était définitivement pas une oeuvre tout public. Car, comme pour tout blockbuster qui se respecte, une multitude de jouets (pas très beaux, il faut le reconnaître) ont innondé les grandes surfaces. Des jouets à l'effigie de Catwoman, en particulier, avec fouet et tout ce genre de choses, qui la plupart du temps font plutôt les joies des boutiques fétichistes. Les gentilles mères de famille ont fait une drôle de tête en découvrant leurs zentils bambins en train d'organiser d'orgiaques combats entre de superbes icônes sado-masochistes. Heureusement il était déjà trop tard pour réagir.
Au moment de sa sortie, l'accueil critique fut assez froid, voire carrément glacial. Certains journalistes eurent le courage de faire remarquer que : 1/ la suite était supérieure à l'original 2/ elle ne ressemblait que de très loin à un blockbuster de plus. Mais cela ne fit pas grand bruit. En France, le film fut quasi unaniment boudé par la critique (de Première à Télérama, avant la mode Burton, donc) à part dans des magazines aussi inestimables que Mad Movies (qui n'a jamais cessé de faire l'éloge du film, au point de le classer très haut dans ses 100 indispensables des 20 dernières années, à égalité burtonesque avec Edward). Puis le temps passa... The Nightmare Before Christmas apparut sur nos écrans, les critiques (re)découvrirent Burton et son univers. La mode était lancée, elle se poursuivit avec Ed Wood et atteignit son apogée avec Mars Attacks ! (nul doute qu'elle va se poursuivre avec Sleepy Hollow). Le révisionnisme fit alors rage, et ceux qui hier dédaignaient les Batman de Burton, se mirent à les réévaluer en flèche. Mieux vaut tard que jamais, le phénomène est tellement courant (de Carpenter à Cronenberg).
Les critiques, comme d'habitude, ont jugé sur des a priori et sur la surface, n'hésitant pas à aller chercher d'invraisemblables invraisemblances pour descendre le film, sans noter que des invraisemblances il y a en a aussi chez Kubrick ou chez Fellini... Pire, on a pu lire des perles du style : "aucun développement des personnages, manque de psychologie, faiblesse du scénario, manichéisme, etc...". Alors que c'est bien évidemment sur ces points précis que résident la plus grande force du film. Les seuls éloges (je parle toujours des critiques "grands publics") furent pour le visuel, et c'est quand même la moindre des choses. Eloges d'autant plus méritées rétrospectivement, quand on voit l'esthétique des blockbusters actuels, de Armageddon à Matrix en passant par le 5e Elément, tous plus moches et clippés les uns que les autres. Burton a pris ses cours de mise en scène chez la Hammer pas sur MTV, et c'est l'une de ses principales qualité. Enfin, comme Edward, Batman Returns se trouvait en parfait décalage avec les critiques et le public, et s'il suscitait quelques interrogations (voire exclamations), elles étaient écrasées sous le poids de l'indifférence face à un OVNI que (presque) personne ne voulait explorer pour y découvrir ses innombrables trésors.
Je dis tout cela, mais Batman Returns n'est toujours pas réévalué comme il le faut. Il y en a encore pour le considérer comme un Burton "mineur". Premièrement il n'y a pas de Burton "mineur" (pardon, c'est le fan aveugle qui parle), deuxièmement si on veut absolument de la hiérarchie, Mars Attacks ou Batman s'affirment plus évidemment comme des films moins importants dans l'œuvre. Mais juger Batman Returns comme un film mineur de Burton c'est comme considérer que Edward ou Ed Wood sont de simples commandes. Que Burton dénigre Batman Returns, c'est un fait, car ce n'est pas un film qui lui appartient entièrement, forcément. Que ce même film soit l'un des plus importants sommets de tous ses sommets, c'est un constat que lui-même ne peut pas changer. Tout simplement parce que c'est son oeuvre la plus sombre, la plus cruelle, la plus dépressive, la plus puissante (à égalité avec Edward, mais Batman 2 le dépasse en noirceur grâce à son visuel et à son désespoir chronique). Et, bon, c'est très subjectif, mais plus Burton fait dans l'émotion, plus j'adore. Donc, tout s'explique (enfin non, mais j'aurais essayé, encore une fois. Oui je sais ce n'est pas facile de défendre un film comme Batman Returns surtout quand on le classe devant La Nuit du Chasseur ou Barry Lyndon).
J'ai oublié de dire que le film a moyennement marché en France, surtout pour une période estivale, se faisant dépasser par la crétinoïde Arme Fatale 3, plus propre à charmer les ados et le "grand public" (faudrait que je lui cause à lui, un de ces jours...). Chose rassurante, les Batman de Schumacher ont encore moins marché, non seulement en France mais aussi aux USA (bien fait, serais-je tenté d'ajouter).
La musique du film
Analyse détaillée
L'adaptation officielle du film en Comics
Voici l'un des collectors les plus futiles qui soient. L'adaptation du film en BD chez Comics USA par Dennis O'Neil, Steve Erwin et José Luis Garcia-Lopez, n'est pas extraordinaire, c'est le moins que l'on puisse dire. Surtout que c'est Dennis O'Neil qui est crédité au scénario, ce qui est totalement paradoxal vu que la BD suit ligne par ligne le film. Enfin bon bref, cela n'a d'intérêt que si l'on est fan hardcore du film car on peut remarquer la présence de scènes absentes du montage final. Elles ne sont pas nombreuses mais c'est toujours un bonheur de complétistes. Bien beau design de couverture quand même (avec une erreur digne des affiches de Scream, d'où sortent les yeux verts de Michelle Pfeiffer ?)