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 Lucyde Luc BessonPourquoi revenir vers Luc Besson quand, probablement par  épuisement, on a laissé tomber le réalisateur depuis le terrible Angel-A ? Poussé par une curiosité forcément malsaine ? Pour savoir ce qui a provoqué  le déplacement de plus de 5 millions de spectateurs en France ? Pour constater  l'ampleur des dégâts ? Pour savoir où en est le cinéaste, dont on n'a pourtant jamais  apprécié le travail ? Des raisons sans doute très mauvaises et on aurait sans  doute mieux fait de s'abstenir et de rester dans une bienheureuse ignorance. Mais  avec son postulat de SF à la Matrix, Lucy nous fait de l'œil  avec insistance. Ça sent la catastrophe à grande échelle et il faut avouer  qu'on n'est pas déçu du voyage.  
                            L'histoire avance par à-coups, sans jamais impliquer le  spectateur. Monté n'importe comment, écrit à la va-vite, caviardé de dialogues  et de répliques risibles, Lucy ne parvient pas à faire exister  le moindre personnage, en particulier l'héroïne, extrêmement déplaisante et  interprétée au minimum syndical par Scarlett Johansson. L'actrice, dont je  chantais les louanges par deux fois cette année, fait ici peine à voir tant  elle est livrée à elle-même, entre cabotinage et léthargie. On ne croit pas une  seule seconde à son développement cérébral, surtout qu'il s'effectue par le  biais d'une multitude d'incohérences, toutes plus énormes les unes que les  autres (Lucy ne se sert en effet de ses pouvoirs que quand Besson juge que ça  fera une image ou une scène "cool"). Par ailleurs, la malveillance  profonde de l'histoire nous présente une Lucy prête à tuer des innocents (mais  c'est "fun") et à se comporter comme la dernière des racailles. Si  c'est ça notre déesse, notre être suprême, pas étonnant que l'humanité courre à  sa perte. 
                            Lucy se compose dans sa majeure partie d'un film de gangsters  bête et méchant, avec des gunfights que Besson recycle à l'identique depuis Nikita et Léon ; et une poursuite en bagnoles dans Paris, illisible et juste là pour casser  quelques voitures de police, comme d'habitude. Le reste est une fumisterie  totale avec des slogans creux sur le cerveau, les cellules, le temps, la vie,  l'univers et tout le tralala. Dans cette partie-là Besson fait fonctionner à  plein régime sa photocopieuse qui lui sert d'inspiration et accumule encore  plus de plagiats (pardon, "d'hommages") que dans Le 5e Elément. 2001, The  Tree of Life, Akira, Ghost in the Shell et le  pauvre Samsara (qui passait par là et qui n'avait rien demandé à  personne) subissent donc le broyeur de ce vilain sagouin. L'hilarité est aussi  fréquente que la consternation, surtout dans les cinq dernières minutes,  indescriptibles et bourrées jusqu'à la gueule de choix esthétiques et narratifs  aberrants.  
 
                            Le film est par ailleurs d'une laideur formelle totale, qui  rappelle que Luc Besson est aussi un metteur en scène surestimé. On pourrait  citer presque tout le film, mais l'exemple des inserts de documentaire  animalier au début du métrage est assez frappant. C'est un effet digne d'une  série Z italienne des années 80 ou, plus proche de nous, d'un méfait de Uwe  Boll. Ceci dit l'œuvre de Besson a beaucoup en commun avec le travail du  réalisateur de House of the Dead. On ne compte plus les plans hideux, telles  les vues à l'intérieur du corps de Lucy avec les molécules de drogue qui  rebondissent dans les artères. Tout cela se veut à la fois divertissant et  profond tout en échouant complètement sur les deux tableaux. C'est un film d'action  médiocre, au mieux, qui accomplit moins que ce que Matrix ou Time  and Tide réussissaient il y a 15 ans de cela. Et pour ce qui est de la  "réflexion" métaphysique, elle est d'une sottise sans limite. 
                            Luc Besson me répondrait que son film est un "objet  gentil" et que s'il fait des millions d'entrées partout dans le monde il  est forcément bon. C'est faux dans les deux cas et il ne faut pas se laisser  intimider par des arguments aussi facilement réfutables. On peut, objectivement,  trouver mille et une choses à redire sur Lucy en tant qu'œuvre  cinématographique et, même en étant très ouvert, il est difficile d'affirmer  qu'il s'agit d'un bon film. En n'étant, comme moi, ni objectif, ni  bienveillant, on conclura en affirmant que Lucy est l'alpha et l'oméga de la  bêtise.                           
 
 Maléfiquede Robert StrombergLa très plaisante veine féministe et œdipienne qui parcourt  bon nombre des dernières productions Disney ne cesse de surprendre  agréablement. Depuis l'excellent Raiponce en passant par le non moins  réussi Rebelle et jusqu'au triomphe de La Reine des Neiges, le  studio propose une relecture féminine de ses codes habituels. Nouvelle étape  avec Maléfique qui présente une sorte d'envers du décor du classique La Belle au Bois Dormant.  Le film oscille entre une fidélité remarquable au dessin animé (les décors et  les costumes, certaines scènes recréées) et une version totalement différente  de l'histoire du point de vue de la "méchante" fée. 
                            On pouvait craindre le pire d'un tel concept, il n'en est  (presque) rien. Les points faibles du film seront plutôt à chercher du côté de  quelques images un peu kitsch, dans la droite lignée d'Avatar et d'Alice au  Pays des Merveilles de Tim Burton ; ainsi que du côté d'une durée fort brève (à  peine 1h30 sans le générique de fin) qui ne laisse pas toujours le temps aux  caractères d'évoluer pleinement. Ceci dit, cette durée est aussi un point fort  à une époque où le moindre blockbuster flirte avec les 2h30 pour ne rien  raconter de nouveau. Au contraire, Maléfique semble déborder, surtout lorsque  le récit chamboule un peu les habitudes (la bataille à grande échelle se situe  au début et non à la fin, par exemple).  
                            Le cœur du film c'est bien sûr la fée Maléfique et sa  relation avec la princesse Boucle d'Or. En offrant à cette méchante  emblématique des motivations fort humaines, les auteurs ne cherchent pas tant à  justifier son comportement qu'à nous attendrir. C'est une œuvre qui pointe du  doigt la cupidité, la colère et toutes les formes de violence. Et, si le genre  masculin a clairement le mauvais rôle, ces messages ne sont jamais assenés de  manière par trop édifiante (du moins pour une production Disney). 
                            En tant que Maléfique, Angelina Jolie n'est pas loin de trouver  le rôle de sa vie. Son visage étrange n'a besoin que de peu de maquillage pour  sembler irréel et inquiétant. Son regard perçant est à peine souligné par les  effets spéciaux. L'actrice n'a donc pas besoin d'en faire beaucoup pour  impressionner, que ce soit dans la menace ou dans l'émotion. Le film crée peu à  peu la fragilité chez le monstre mais aussi chez une comédienne qu'on croyait  depuis longtemps déshumanisée. Avec quelques belles répliques et beaucoup  d'humour, Maléfique déborde les cadres du manichéisme. De la part de Disney  c'est un vrai tour de force, une excellente surprise et, malgré les quelques  défauts, un film très recommandable. 
 
 P'tit Quinquinde Bruno DumontP'tit Quinquin est tant de choses qu'il semble difficile de les  résumer en quelques paragraphes. Tout d'abord, comme clamé par Les Cahiers du  Cinéma, c'est la meilleure comédie de 2014 : un fou rire quasi non stop pendant  plus de trois heures. Les instants de pause dans l'humour ne faisant que  renforcer la sidération provoquée par l'œuvre. C'est, par suite, le meilleur  film français depuis bien longtemps et probablement une des créations les plus  mémorables produites dans l'hexagone ces 20 dernières années. Ce n'est guère  étonnant puisque c'est une forme d'accomplissement pour Bruno Dumont, dont  toute la filmographie semblait tendre vers P'tit Quinquin. Malgré leurs thèmes  souvent sordides, les précédentes œuvres ch'tis du réalisateur n'étaient jamais  loin du burlesque et de l'humour plus ou moins volontaire. 
                            Car cette fois pas de doute, il s'agit bel et bien d'une  comédie, malgré ses accents policiers et métaphysiques, c'est une vraie bonne tranche  de poilade avant tout. Ceci avec la complicité des comédiens, qui bien qu'ils  soient amateurs, savent fort bien ce qu'ils font. On rit avec les personnages  et les clichés et pas à leur dépend. P'tit Quinquin se révèle d'une  richesse comique rare, chaque plan recelant un ou plusieurs gags et chaque  réplique devenant inoubliable. Je ne vais pas citer d'exemple, car ils sont  trop nombreux et ils font partie du plaisir de la découverte. On reste aux  aguets du moindre détail, au bord de son siège, passant d'une stupéfaction à  l'autre. Le mélange des types de comique, proposé dans un tel contexte, semble  étrangement inédit. 
 
                            Si la mise en scène de Dumont s'avère toujours aussi  parfaite, chaque plan étant travaillé avec soin, il faut chanter les louanges  des comédiens. Dans le rôle du commandant Van Der Weyden, Bernard Pruvost,  jardinier dans la vraie vie, est absolument génial ; il développe une  personnalité comique totale, de la gestuelle à la diction en passant par une  maladresse dont on ne sait jamais si elle feinte ou naturelle. Le duo qu'il  forme avec Carpentier (Philippe Jore) possède une dynamique incroyable. Plutôt  que de nous resservir ces comédiens professionnels généralement nuls et  surpayés, Dumont laisse le champ libre à des amateurs qui ont pour eux leur  naturel. Bref, nous voilà vengés de la quasi totalité des horreurs françaises. 
                            Bien sûr, en tant qu'enquête policière provinciale, mais  avant tout étude de caractères, P'tit Quinquin peut attirer les  comparaisons avec le récent True Detective ou l'éternel Twin  Peaks qui se retrouve cité à tout bout de champ depuis 25 ans. Mais la  mini-série de Bruno Dumont existe dans sa réalité et son genre propres. C'est  une création très française qui s'assume comme telle avec une certaine malice.  A mi-chemin entre la télévision et le cinéma, le réalisateur s'inscrit  idéalement dans l'air du temps. De surcroît, au-delà de sa puissance comique  évidente, P'tit Quinquin laisse aussi de la place à une vision poignante  de l'humanité, entre cruauté sociale et poésie abrasive. Quand Robert Bresson  rencontre Jacques Tati et Louis de Funès, cela fait date dans le paysage  culturel français. 
 
 God help the Girlde Stuart MurdochLe film est une adaptation de l'album du même nom, sorti en  2009, projet parallèle de Stuart Murdoch, le leader de Belle and Sebastian.  Ledit album étant une prolongation de The Life Pursuit, disque de Belle  and Sebastian, sorti lui en 2006. Bref, à part quelques morceaux, les fans  reconnaîtront la majorité des chansons présentes dans le film. La différence,  de taille, étant leur réinterprétation par les comédiens et leur illustration.  En ce sens, God help the Girl ressemble à une mise en images de la musique  de Belle and Sebastian. Ce n'est pas pour autant un long vidéo clip, car  l'histoire et les personnages existent avec force. Le récit en lui-même est  très classique, mais l'ajout de moments de comédie musicale pleins de sincérité  et de fraîcheur donnent une toute autre dimension au film. On se passionne pour  les tourments de ces post-adolescents en pleine quête existentielle et  artistique. 
  La mise en scène de Murdoch, à l'image de sa musique,  n'hésite pas à user d'effets et de références mais avec parcimonie. En général  chaque changement de style visuel n'est utilisé qu'une seule fois, renforçant  son impact. God help the Girl est un superbe objet filmique et pas  seulement une illustration plan-plan de sa musique. Et pour qui aime un peu  l'Ecosse et surtout Glasgow, c'est aussi un charmant guide touristique. Le trio  d'acteurs principaux s'avère parfait, même si c'est l'australienne Emily  Browning qui vole la vedette, en combinant talents de comédienne et de  chanteuse. On a du mal à croire que c'est la même actrice qui se commet  régulièrement dans des blockbusters plus ou moins affligeants (à l'image du  terrible Sucker Punch). C'est donc une quasi révélation car Browning  semble avoir trouvé ici le rôle susceptible d'ouvrir une nouvelle dimension à  sa carrière. 
 
  Bien sûr, le principal (mais donc pas le seul) intérêt du  film réside dans sa musique et son interprétation. On reconnaîtra sans mal le  style de Belle and Sebastian, une "chamber pop" assez inimitable,  très délicate, un peu acerbe, souvent drôle et mélancolique tout à la fois. Un  hommage très direct est d'ailleurs rendu à l'un des groupes fondateurs de la  "pop de chambre" avec une variation sur Pretty Ballerina de The Left Banke qui offre au film l'un de ses  meilleurs moments. Mais les  numéros immédiatement mémorables sont légions : The Psychiatrist is in, Pretty Eve in the Tub, Down and Dusky Blonde et l'irrésistible I'll Have to Dance with  Cassie. De quoi largement occuper presque deux heures de métrage  sans se départir d'un réalisme poétique qui culmine sur le final au son du Dress Up in You de The Life Pursuit. 
  God Help the Girl nous fait regretter le temps où les groupes  de rock s'offraient des films à leur mesure, souvent pour le pire mais aussi  pour le meilleur, à l'image de Quadrophenia pour les Who ou de Rude  Boy pour The Clash. A noter que c'est justement quand le groupe se fait  le plus discret à l'écran que l'œuvre a le plus de chances d'être réussie (exception  faite du fondateur Hard Day's Night des Beatles). God Help the Girl convie  le meilleur du cinéma et de la musique pop en une œuvre d'une rare  sophistication et qui respire la spontanéité la plus absolue : un petit  miracle. Le seul risque est donc de faire une overdose de scènes et de chansons  adorables. Celui qui redoute cela est probablement une bien triste personne. 
 
 Le Vent se lèvede Hayao MiyazakiCette fois c'est sûr, promis, juré, c'est le dernier film de  Hayao Miyazaki. Pour entériner le message, le studio Ghibli a mis  (provisoirement ?) un terme à la production de nouveaux longs-métrages.  Miyazaki et Takahata prennent leur retraite et les successeurs potentiels n'ont  vraisemblablement pas réussi à convaincre les grands anciens. Hop, tout le  monde dehors, Ghibli c'était Miyazaki père et quelques bribes pour les autres.  Preuve que l'ego du génie japonais ne connaît que peu de limites, son œuvre testament  est aussi la plus personnelle. Un film, qu'on pourrait par endroit, envisager  comme un gros cadeau fait à lui-même, une histoire qui le passionne et dont il  se moque éperdument de savoir si elle intéressera son public. 
  Bref, ça parle d'avions et d'un inventeur brillant, surtout  connu pour avoir conçu les terribles Zéros qui servirent aux kamikazes durant  les heures les plus violentes de la seconde Guerre Mondiale dans le Pacifique.  Mais de cela il n'est fait mention que par allusion à la toute fin du métrage,  Miyazaki occultant paisiblement les liens entre son héros et les horreurs de la  guerre. Celle-ci est bien présente, ici et là, au moins pour nous faire  comprendre qu'il ne faut pas confondre le régime japonais et le régime nazi.  C'est déjà ça. Non, ce qui fascine Miyazaki ce sont les petits avions et  comment ils sont dessinés, testés, rêvés. Le tout emballé dans les passages  obligés du biopic qui veut faire pleurer dans les chaumières, histoire d'amour  tragique à l'appuis.  
  Formellement c'est beau, très beau, avec comme point fort un  travail admirable sur la bande son. On n'en attendait pas moins de la part de  Miyazaki, qui fut le plus grand metteur en scène d'animation de son temps. On  regrettera, peut-être, que s'il s'agit là de son œuvre la plus adulte, mais pas  forcément la plus sombre, c'est aussi la plus classique. Un peu longuet, un peu  répétitif, Le Vent se Lève s'adresse en priorité aux fans d'aviation et  d'histoire du Japon. On sait qu'ils sont nombreux et pour eux ce sera l'extase.  Ceux qui aiment Miyazaki avant tout pour son travail dans la fantaisie (du  quotidien) et le merveilleux (du conte) risquent de rester sur leur faim. 
 
 Godzillade Gareth EdwardsLa Nature fait ce qui lui plaît. Une fois que ses forces se  sont mises en branle, rien ne l'arrête. Métaphore des catastrophes naturelles  les plus destructrices, le super dinosaure Godzilla n'est pas que le rejeton du  péril atomique. Certes, dès qu'il surgit il est beaucoup question des dangers  du nucléaire, mais, et c'est particulièrement vrai avec cette énième  résurrection, il incarne avant tout les puissances primitives venant  rééquilibrer la balance. Les humains dans tout cela ? Ils ne sont qu'un vague  élément déclencheur. Ensuite, ils s'agitent beaucoup, commettent bourde sur  bourde, et ne sont plus que les spectateurs impuissants de forces qui les  dépassent totalement. 
  Le Godzilla de Gareth Edwards est filmé  du point de vue des fourmis. De notre point de vue, donc, écrasés que nous  sommes par des créatures qui ne s'aperçoivent que très vaguement de notre  présence. Les montres vivent leur vie, suivent leurs instincts en piétinant nos  fourmilières. Bref, les insectes pris au milieu de la chasse d'un lion sautant  sur une gazelle doivent ressentir à peu près la même chose. Dans ses meilleurs  moments, Godzilla s'approche donc du documentaire animalier mis en scène  de manière lyrique. Les images sont alors empruntes d'une grande beauté sauvage  et titanesque. Cette poésie du gigantisme et de la désolation était déjà à l'œuvre  dans le film précédent du réalisateur, le contemplatif Monsters. 
  Malheureusement, un projet où les studios ont investi 160  millions de dollars (hors marketing), ne peut pas être qu'expérimental. On  n'échappe pas aux passages obligés et aux personnages qui ne servent à rien  (mention spéciale au casting féminin qui fait de la figuration). Clairement pas  du tout passionné par tout le barnum des humains, Edwards prend le contrepied  absolu des affreux Transformers de Michael Bay. Pas d'humour et surtout aucune  fascination pour la chose militaire. Les petits soldats ne servent à rien,  seulement à empirer la situation. Le héros aura bien l'occasion de briller cinq  minutes avant la fin, mais il reste dans l'ombre des géants. 
 
  C'est donc une œuvre d'observation, où, à l'instar des  protagonistes, le spectateur guette longuement avant d'entrevoir un bout de  lézard. Cela pourrait être frustrant, c'est une bien meilleure solution que  l'overdose d'un Pacific Rim. Ici, pas de fascination enfantine pour la  destruction massive, ce qui ne veut pas dire que le réalisateur ne respecte pas  ses inspirations. Au contraire, il se tourne vers le film originel de 1954,  mais aussi vers les versions plus sérieuses de la fin des années 80. Au final,  on pensera surtout à La Revanche d'Iris, le meilleur film  de la trilogie Gamera ; certaines scènes y faisant un peu écho.  
  Les amateurs de catch entre monstres ne seront pas déçus par  la conclusion qui offre beaucoup sans en faire trop. Juste quelques empoignades  et deux coups de grâce mémorables, cela suffit pour marquer plus durablement la  mémoire que les interminables bastons du Pacific Rim déjà évoqué. Au final,  Godzilla retrouve sa puissance iconique et tout est prêt pour la création d'une  nouvelle saga héroïque. C'est assez paradoxal, tant le film s'avère sérieux et  esthétisant, mais il ne faut pas oublier qu'on est dans le monde des  blockbusters. Celui-ci sort nettement de l'ordinaire en refusant le nivellement  formel vers le bas et en osant revendiquer bien haut son principal propos :  lorsque la Nature aura décidé de faire table rase, nous ne serons plus que de  simples spectateurs. 
 
 Under the Skinde Jonathan GlazerEt l’homme créa la femme. Du moins, il créa l’image de la  femme, telle qu’il la désirait. Elle devait se conformer à ses fantasmes et à  ses peurs. La voilà donc prédatrice et inaccessible, vampire et  traitresse ; mais avant tout parfaite. Ce n’est pas là ce que veut être la  femme, formatée par le regard masculin. Elle veut s’évader des carcans de la  société, ne plus se préoccuper de la manière dont elle s’habille, dont elle se  maquille, ce qu’elle doit faire ou non, qui elle doit séduire ou non. Maîtresse  de son corps, maîtresse de son cœur, elle refuse, elle se refuse ; elle  devient dangereuse. Elle finira, littéralement, sur le bûcher. 
  Le propos féministe de Under the Skin n’est pas le plus  original, mais son traitement, métaphorique et sensoriel l’est davantage. La  première partie emprunte les codes de la science-fiction, en particulier de  l’invasion extra-terrestre. La seconde, qu’on n’hésitera pas à qualifier de  tarkovskienne, se fait contemplative et panthéiste. Le retour aux éléments  primitifs (eau, air, terre et feu) mène au dévoilement absolu, à ce qu’il y a  « sous la peau ».  
  La mise en scène, tranchante comme un rasoir, mêle ultra  réalisme et onirisme qu’elle lie en un symbolisme omniprésent, plutôt  classique. Cependant, au milieu d’images et de situations plus ou moins  attendues, certaines scènes surprennent par leur puissance évocatrice (le  pré-générique, la scène de la plage, l’absorption et la digestion des proies,  la fin dans la forêt). Il faut aussi célébrer une bande son extraordinaire, en  partie une musique concrète d’où surgissent parfois des squelettes de mélodies  entêtantes et d’autre part des bruitages acérés. 
 
  Et puis il y a Scarlett. A l’inverse de Her où elle n’était  qu’une voix, ici elle n’est quasiment qu’un corps. Invisible chez Spike Jonze,  elle est de presque tous les plans chez Jonathan Glazer. Dans les deux cas elle  incarne pourtant un idéal féminin un peu abstrait, vaguement irréel. La  performance de la comédienne est sobre et on a du mal à croire que ce soit la  même actrice prête à jouer de manière lamentable dans la première bêtise venue  (le dernier Captain America est gratiné dans le genre). Ce grand écart permanent  symbolise bien la carrière schizophrénique de Scarlett Johansson, qui semble  vouloir jouer sur tous les tableaux, aussi bien du cinéma d’auteur que du  divertissement populaire. Tant mieux pour nous, sans doute, puisque sa carrière  demeure fort intéressante. 
  Entourée par des comédiens en majorité amateurs, la star se  donne corps et âme dans un rôle aussi marquant que celui de Her, ce qui tend à  prouver que 2014 est vraiment l’année Scarlett. On ne pourra donc que  recommander Under the Skin, film expérimental au sens le plus noble du terme. Expérience  des sens, expérience des interprétations, pour au final marquer la rétine de  manière indélébile. Le genre d’œuvres qu’on n’oublie pas une fois la lumière  rallumée. 
 
 La Grande Aventure Legode Phil Lord et Christopher MillerC’est l’une des grandes surprises cinématographiques de  l’année : le triomphe public et critique de La Grande Aventure Lego. De  prime abord, le film avait tout du produit marketing indéfendable et  insignifiant, comme il en sort presque chaque semaine. Bruyant, hyperactif,  coloré, à l’image d’une longue page de publicité, ce dessin animé peut inspirer  une légitime méfiance chez le spectateur de plus de 12 ans. C’est oublier que  les produits dérivés Lego sont loin d’être de mauvaise qualité en général (voir  pour cela les jeux vidéo de la franchise, généralement très bons) et que les  deux cinéastes associés au projet sont les scénaristes de Tempête de Boulettes Géantes,  déjà une vraie réussite dans le domaine de l’animation hystérique mais drôle. 
  On reconnaît d’ailleurs immédiatement le style de Phil Lord  et Christopher Miller. Tout va très vite en un assaut permanent des sens et des  zygomatiques. Durant les premières minutes du film, on se demande d’ailleurs si  on n’est pas trop vieux pour cela. Va-t-on tenir le coup pendant plus d’une  heure et demie ? Va-t-on céder à la fatigue, à l’épilepsie, à la  panique ? Mais non, il y a dans cette recette suffisamment d’éléments où  s’accrocher, un vrai sens du rythme, une générosité qui permet de plaire aussi  bien aux enfants qu’aux adultes. Et même, au final, on nous offre une pointe  d’humanité assez touchante, une touche de magie à l’ancienne qui émerveille.  
  Le film est aussi un triomphe au niveau de son casting vocal  qui n’hésite pas, outre les innombrables apparitions de stars, à aller piocher  dans les meilleures séries comiques de ces 10 dernières années. On retrouve  donc Chris Pratt et Nick Offerman (Parks and Recreation), Will Arnett (Arrested  Development) ou bien encore Alison Brie (Community). Les auteurs utilisent les  rôles les plus célèbres de ces comédiens pour modeler les personnages  Lego : l’enthousiasme maladroit d’Andy et la rigueur rustique de Ron de  Parks and Rec, l’assurance ridicule de Gob d’Arrested Development ainsi que le  mélange de guimauve et de vindicte d’Annie de Community. 
 
  Alors oui, La Grande Aventure Lego demeure une  extraordinaire opération promotionnelle pour la marque de jouets. On sort du  film avec l’envie d’acquérir toute la collection et de transformer une pièce  entière de son logis en terrain de construction. D’accord, on veut nous vendre  des produits dérivés, mais, vous le savez aussi bien que moi, ça fait longtemps  que ça dure. Depuis Star Wars, depuis les années 70, et ça n’a pas toujours  donné naissance à d’horribles nanars. On a pu adorer Gremlins sans se jeter sur  une peluche de Gizmo, on a pu adorer les Batman de Burton sans ressentir le  besoin d’acheter des Batmobiles en plastique made in China. Et, tant qu’à  faire, des Lego seront toujours plus estimables que des Transformers. Justement,  comme le souligne longuement ce film, parce que les Lego laissent une place  immense à l’imagination, à la créativité, aux histoires en tout genre.  
  C’est ce qui explique aussi le succès de La Grande Aventure  Lego, qui incarne un rêve enfantin où tous les héros et tous les univers se  retrouveraient au sein de la même histoire. Cette déferlante est bien sûr un  moyen de séduire le public le plus large possible, puisque chacun y trouvera un  clin d’œil qui lui parle directement. Mais c’est aussi l’un des plus beaux  hommages qu’on puisse envisager à l’univers du jeu enfantin, celui qui ne  connaît aucune limite et où tout est possible. A l’image, cela donne ces plans  formidables où les protagonistes explosent littéralement les murs invisibles  qui séparent les différents mondes, pour mieux propulser leur histoire vers  d’autres horizons.  
 
 Herde Spike JonzeElle. Her.   Le titre en dit plus long que sa brièveté ne laisse supposer.    Justement parce qu'il est à l'image du film qu'il annonce :  simple,   pur, discret. Ce titre préfigure aussi une histoire qui  revient à   l'essence du romantisme par le biais de la  science-fiction. Une SF qui   plonge dans les thèmes qui me sont chers  (le « post-humain » en   particulier), ceux qui parcourent  déjà les plus grandes œuvres du genre   (2001, Ghost in the Shell, Wall-E ou bien encore Star Trek The Next Generation).   Alors, oui,  c'est l'histoire d'un amour impossible entre un humain   très humain  et une intelligence artificielle qui apprend trop et trop   vite. C'est  un portrait désenchanté d'un futur à peine différent de   notre  présent, là où les êtres passent comme des fantômes doués de    raison mais surtout de  sensibilité.  Her n'est pas un manifeste alarmiste et on est loin des récits    d'anticipation pointant du doigt les avancées technologiques.    L'omniprésence des intelligences artificielles n'est qu'une  parenthèse,   un placebo pour la solitude, avant la remise à plat des  relations   humaines et la naissance d'un nouvel avenir aussi  mélancolique que   chargé de promesses. Tout ceci est raconté avec  beaucoup d'humour,   beaucoup de douceur et une sincérité qui  renforce le réalisme des   situations malgré la petite musique  onirique qui berce le film. 
 On  ne voit pas passer   les deux heures et il est à peine nécessaire de  souligner que l'Oscar   du meilleur scénario est loin d'avoir été  volé. On a aussi beaucoup   évoqué l'interprétation, en effet  remarquable. Scarlett Johansson n'est   pas Meryl Streep, elle ne fait  pas partie de ces comédiens qui tirent   vers le haut, par leur seule  présence, les films les plus médiocres. Il   lui faut un script  solide, des dialogues impeccables et un directeur   d'acteurs de haut  vol pour obtenir d'elle une prestation mémorable. Ce   qui est le cas  ici où, invisible tout du long, elle compose  sa   meilleure performance. Et ce n'est pas rien lorsque de l'autre  côté de   l'oreillette on retrouve Joaquin Phoenix qui n'en est pas à  son coup   d'essai en matière de création de personnages  inoubliables. Il n'y a   pas si longtemps, c'était aussi  le cas dans The Master où il côtoyait déjà  une des plus grandes comédiennes américaines de   notre époque, Amy  Adams, ici cantonnée à un second rôle parfait.  Spike  Jonze se met à l'unisson et déploie une mise en scène très fine,  sur la partition d'un Terrence Malick hipster. Il en résulte un  visuel très doux, aux teintes pastelles,   doublé d'un va et vient  chimérique entre la réalité, les souvenirs et   les rêveries. Cette  ambiance est soutenue par la bande originale   composée par Owen  Pallett et Arcade Fire, dont le Supersymmetry accompagne avec grâce  la toute fin du métrage. Osons l'écrire, Her est le film romantique  le plus audacieux et poétique vu depuis longtemps, sauf à  considérer, à juste titre, que Cloud Atlas entrait aussi dans cette  catégorie. Cette  ambition ne se   déploie jamais au détriment du petit détail, de  l'infime sensation, du   dernier murmure. Non seulement l’œuvre  offre une véritable humanité au   « post-humain » mais il  redore le blason de nos sentiments. Face au   quotidien, aux grandes  défaites et aux petites victoires, en décrivant   nos instants de  bonheur comme dans notre détresse, Her trouve l'image adéquate, les  mots qui sonnent juste. 
 
 Young Detective Dee : Rise of the Sea Dragonde Tsui HarkDepuis plus de quinze ans (bientôt  seize), je chante régulièrement les louanges de Tsui Hark. C'est  aussi grâce à lui que ce site existe, car c'est en partie par amour  pour sa vision du cinéma que j'ai eu envie d'accomplir un travail de  défricheur, de critique, d'intermédiaire. L'intense bonheur, la  joie, la tristesse, l'amusement que m'apportent ses œuvres ne  peuvent pas demeurer un plaisir égoïste. Il faut que je le clame  auprès du plus grand nombre. Si vous êtes des lecteurs habitués de  ces lieux, nul besoin de ressasser, sinon, je ne peux que vous  orienter ici et là, ainsi que vers la chronique du premier Detective  Dee. Cette suite, se déroulant avant les  événements du film précédent, n'est pas à proprement parler une  préquelle. C'est une aventure indépendante entretenant peu de  rapports avec ce qui suivra. En clair, pas besoin d'avoir vu Le  Mystère de la Flamme Fantôme pour apprécier Rise of  the Sea Dragon. L'inspiration est toujours aussi vaste,  allant de références occidentales (Sherlock Holmes, Jules Verne,  les grands classiques) à d'autres purement chinoises. L'essentiel  pour Tsui Hark étant de composer un film d'aventure à l'ancienne,  plein de rebondissements, de monstres et de merveilles.  
 Les chipoteurs incultes iront se  plaindre des effets spéciaux un peu raides, c'est oublier que c'est  l'apanage de tous les films de Tsui Hark, même, et je dirai surtout,  dans ses plus grands chefs-d’œuvre. Green Snake et Dans la Nuit des Temps sont des monuments et peu  importe que les serpents soient en caoutchouc et les maquillages  bricolés. Tergiverser sur des effets spéciaux c'est aussi oublier  que même les plus parfaits au moment de la sortie de  l’œuvre finissent pas vieillir, bien ou mal. C'est évidemment la  qualité globale du film qui fait pencher la balance au final. Les  mêmes travers se verront qualifiés de poétiques, atmosphériques,  évocateurs, attendrissants, dans un certain contexte ou de  franchement ridicules et rédhibitoires dans un autre. Tout dépend  de ce qui est montré et raconté.  Dans Young Detective Dee,  la générosité absolue du metteur en scène s'exprime pendant plus  de deux heures. Ce n'est qu'une succession de scènes plus ou moins  hallucinées et, je le soulignais déjà pour le premier opus, comme  dans chaque Tsui Hark (ou peu s'en faut), vous verrez ici quelque  chose que vous n'avez jamais vu ailleurs et que vous ne reverrez sans  doute jamais. C'est aussi pour cela, et encore plus que d'habitude,  que je ne déflorerez en rien le spectacle et ses surprises. Quelles  que soient vos attentes, elles devraient être comblées, surtout  que, comme d'habitude, le réalisateur ne peut s'empêcher de jouer  les trublions face au pouvoir, et son côté anarchiste, mis sous  surveillance depuis la rétrocession de Hong-Kong, trouve encore des  moyens d'envoyer des piques plus ou moins burlesques. 
 Des combats chorégraphiés jusqu'à  l'absurde mais jamais pompeux ou poseurs, des poursuites dantesques,  des scènes d'action outrancières, de la magie, de l'intrigue, de  l'enquête, de l'humour. Je ne vais pas insister, vous l'avez  compris, c'est du divertissement parfait, celui qui donne un  sentiment de satisfaction intense et durable. Une distraction qui va  au-delà de l'effet montagnes russes et fête foraine, si tendance à l'heure  actuelle. Parce que l'univers décrit et les personnages dépeints  ont un petit quelque chose en plus, parce que la folie de Tsui Hark  est aussi maîtrisée avec un soin maniaque. C'est un des aspects les  plus attachants de son œuvre, donner l'impression du chaos, de  l'improvisation, du bricolage, de la spontanéité, tout en fignolant  chaque plan, chaque séquence. Un technicien à nul autre pareil, un  auteur qui ne cherche jamais à imposer son ego à l'écran tout en  demeurant unique. Bref, Tsui Hark, chères lectrices, chers lecteurs,  Tsui Hark.  |