Pour tous les nombreux fans de Twin Peaks, le nom de Sheryl Lee est
naturellement associé au personnage de Laura Palmer. Cette Laura à la fois quasi
absente de la série et pourtant moteur principal d'une grande partie de
l'histoire. Cette Laura fantomatique, apparaissant au détour d'un rêve, d'un
film amateur flou, d'une cousine-double, d'une Lodge infernale. Cette Laura si
mystérieuse et fascinante que David Lynch prendra la peine de lui dédier une
œuvre cinématographique phénoménale - Fire Walk With Me - qui demeure à ce jour
le rôle le plus marquant de Sheryl Lee.
Un rôle, oui mais quel rôle ! Peut-être le plus beau,
le plus complexe des personnages féminins de l'histoire du cinéma (l'un des plus
beaux en tout cas), dans lequel Sheryl Lee s'est plus qu'investie et livre une
interprétation proprement hallucinante. Mais sa carrière n'est pas uniquement
liée au bon vouloir du grand David Lynch.
Sheryl Lee est née le 22 avril 1967 dans la ville de
Boulder, Colorado. Avec la chance de grandir dans une famille à l'esprit
artistique. Très tôt Lee désira devenir une danseuse mais de nombreux problèmes
de santé l'obligèrent à quitter cette voie. Sa première apparition en tant
qu'actrice a lieu dans une pièce scolaire (The Bad Seed) à l'âge de 15 ans.A la
fin de ses études, elle fréquente plusieurs écoles d'Art dramatique avant de
trouver quelques rôles au théâtre à Seattle.
C'est à Seattle que David Lynch découvre Sheryl
Lee. Lynch est alors en plein tournage du pilote de Twin Peaks. Lee se présente
à l'audition pour le rôle de Laura Palmer. Elle apparaît donc dans le pilote de
TP, et 6 mois plus tard elle est appelée à Los Angeles pour figurer dans le
reste de la série. Lynch lui donnant le rôle de Madeleine Ferguson, cousine
jumelle (mais brune, façon Kim Novak dans Vertigo) de Laura Palmer, ainsi que
les apparition fantasmagoriques de la défunte. Twin Peaks est donc la première
apparition à l'écran de Sheryl Lee.
Il faut reconnaître que dans la série on parle plus de
Laura Palmer que l'on ne la voit vraiment (et pour cause !) et le personnage de
Madeleine Ferguson, entouré de James et de Donna (2 des personnages les plus
nunuches de Twin Peaks), est bien transparent. C'est donc surtout grâce au génie de mise
en scène de Lynch que les apparitions de Lee obtiennent un tel impact. Par
exemple dès le pilote avec la simple découverte du corps de Laura "wrapped in
plastic" où Sheryl se contente d'une simple figuration, de même dans l'épisode
15, l'un des plus fondamentaux de la série.
On retiendra tout autant les apparitions mythiques de
Laura Palmer dans la Black Lodge, que ce soit dans les rêves de Copper et
surtout dans le dernier épisode où son "Doppelganger" se déchaîne. En tout cas
Laura Palmer marque la série entière de sa présence-absence (ne serait-ce que
par l'immuable portrait rayonnant du générique de fin) sans que l'on sache
véritablement qui elle est. De l'image de jeune fille quasi parfaite que l'on
donne d'elle au début jusqu'aux découvertes les plus sordides de l'enquête,
Laura Palmer se révèle d'une étonnante complexité. Le magnifique livre de
Jennifer Lynch - Le Journal Secret de Laura Palmer - en est la bouleversante
synthèse.
Normal donc que la carrière de Sheryl Lee prenne son
essor dès les premiers épisodes (les plus populaires) de Twin Peaks. Elle tient
le rôle principal d'une mini-série de la NBC, Love Lies and Murder et apparaît
brièvement à la fin de Sailor et Lula (Wild At Heart) toujours de David Lynch,
dans le rôle angélique de la Bonne Fée réveillant l'amour de Nicolas Cage pour
Laura Dern.
En 1992 Sheryl Lee retrouve le rôle de Laura Palmer
pour le Chef-d'Oeuvre de David Lynch, Fire Walk With Me (titré en France : Twin Peaks - les 7 derniers jours de Laura Palmer). Si la
première demie-heure du film s'éloigne de Twin Peaks Town pour mieux perdre le
spectateur dans un univers claustrophobique et inquiétant, toute la suite du
film n'a plus qu'un seul centre : Laura Palmer. Et là, aussi bien Lynch que Lee
repoussent les frontières du cinéma pour mieux noyer le film dans un déluge
d'émotions, de sons, d'images, de rêves et de cauchemars aboutissants à une
expérience unique et étonnante.
Si l'univers torturé de Lynch (l'enfer derrière le
banal, l'Inconscient derrière le Conscient) n'a jamais été aussi parfait,
l'interprétation de Sheryl Lee transcende à tout instant les scènes les plus
délicates, les plus difficile. Toujours entre le fou rire naturel (la scène de
forêt avec Bobby) et les larmes au bord des yeux, sa Laura Palmer est un
gigantesque recueil vivant de tous les sentiments humains. Passant en un regard,
de l'amour à la haine ; en une réplique, de l'innocence à l'omniscience ; à la
fois amie, amante, mère, pute, adulte et fillette, elle habite littéralement
toutes ses scènes. Et face à un Ray Wise plus génial que jamais c'est elle qui
apporte la sensibilité, l'émotion pure qui manque parfois au style lynchien.
C'est un personnage à la fois terrorisée par la mort et l'attendant comme une
délivrance, perdue et pourtant protectrice, cherchant l'amour et créant la
souffrance de ceux qui l'entourent, une incarnation de l'innocence pervertie
égarée au milieu d'un univers métaphorique à la fois métaphysique et
psychanalytique. Laura Palmer gagne donc d'autant plus sa place dans la
mythologie moderne lors d'une séquence finale bouleversante entre éternité et
néant.
Mais la carrière de Sheryl Lee ne s'arrête pas à ce
rôle extraordinaire (bien trop magnifique pour les Oscars par exemple, tant mieux
!). Elle apparaît dans l'adaptation théâtrale du Salome d'Oscar Wilde au côtés
de Al Pacino, dès l'été 1992. Puis dans un épisode de la série Red Shoe Diaries (avec David Duchovny). Toujours pour la TV on peut noter ses rôles pour Guinevere, Lifetime's, Dr Quinn, Follow The River, David... Mais malheureusement
rien de très marquant.
Au cinéma elle poursuit une carrière au sein de films
indépendants comme Don't Do It, Jersey Girl, Backbeat, Fall Time, Homage, Mother
Night, Bliss, This World Then The Fireworks... mais malheureusement la plupart
de ces œuvres n'a pas atteint les cinémas français ni même les vidéos-clubs.
En 1998 Sheryl Lee tourne dans le Vampires de John
Carpenter. Encore un film indépendant, mais qui grâce à la notoriété de son
génial réalisateur obtient une sortie en salle. Vampires est un Carpenter
"mineur" mais néanmoins excellent. Et, donc, outre ses qualités visuels et
scénaristiques il nous permet de retrouver Sheryl Lee sur grand écran.
Malheureusement celle-ci, dans le rôle de Katrina, une prostituée en pleine
vampirisation, est sous-employée. Ses quelques apparition rassurent néanmoins
sur un point, c'est toujours une actrice d'exception, terriblement belle et
intense, quel que soit le rôle qu'elle ait à tenir. Dommage donc que Carpenter
n'est pas fait un film plus long qui nous aurait permis d'admirer un peu plus
Sheryl avec son sourire au dents longues et sa démarche féline. On se contentera
de ces quelques scènes magnifiques où elle s'avère très convaincante dans la
progression de la "maladie" qui la ronge inexorablement.
Début 1999, This World Then The Fireworks a été enfin
distribué dans les salles françaises sous le nom de Liens Secrets. C'est un pur
film noir d'une certaine beauté plastique. Sheryl Lee est superbe.
Malheureusement le scénario comme les dialogues sont assez pathétiques. En clair
le film se laisse regarder mais ce n'est qu'une petite série B, sans plus.
Encore plus attristant, Sheryl semble avoir trouvé un rôle
principal dans une série TV franchement indigne de son talent, L.A. Docs. Pitié,
faites que la série s'arrête vite, n'enfermez pas Sheryl dans un sale sitcom
sous-Urgences. La série est diffusée sur une chaîne française de sinistre
mémoire. C'est effectivement très mauvais et Sheryl Lee n'y fait que de très
courtes apparitions. Mais rien que pour ces quelques instants cela vaut plus que
le détour. Soit c'est moi qui disjoncte (possible), soit elle devient de plus en
plus sublime. L.A. Docs est la série la plus cruelle de l'histoire de la
télévision.
Sheryl Lee est donc surtout l'actrice d'un seul rôle
(comme la plupart des interprètes de Twin Peaks). Mais ses quelques apparitions
dans la série et surtout sa performance phénoménale dans Fire Walk With Me ont
suffit pour la placer très très haut dans mon top personnel des plus grandes
actrices du siècle. Il faut maintenant espérer que dans les années à venir de
grands cinéastes prennent conscience de ses capacités infinies et lui offre des
rôles à la mesure de son talent. Car cette actrice qui n'hésite pas à s'engager
à fond dans tout ce qu'elle entreprend (la campagne anti-fourrure Peta,
par exemple) mérite mieux qu'une obscure figuration dans un téléfilm.
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