On dit
souvent de David Lynch qu'il est un OVNI dans le monde soit bien propret soit
grotesquement "indépendant" du cinéma américain. Il faut quand même constater
que Lynch est loin d'être le seul OVNI aux USA et qu'il doit beaucoup de son
originalité à son admirable sens du surréalisme et à sa maîtrise de la technique
cinématographique. David Lynch connaît son Tati et son Bunuel par cœur, c'est
clair. Ce qui est donc original c'est qu'il fait des films franchement
américains avec des références européennes. Ce qui frappe aussi c'est la
facilité avec laquelle il met tout et n'importe quoi en images avec plus ou
moins de rapport avec son sujet de départ. Parfois ce sont des symboles
psychanalytiques évidents (Eraserhead, Mulholland Drive), parfois c'est du
pétage de plombs intégral (Sailor et Lula, Twin Peaks...).
C'est avec Blue Velvet qu'il a trouvé la formule
magique lynchienne. Le film est la base de ce surréalisme piratant les
poncifs des genres hollywoodiens. Sailor et Lula en serait la poursuite au sens
littéral du terme, un road-movie à la recherche de la bonne fée, une plongée
plus profonde et plus extrême dans la formule lynchienne. Twin Peaks et surtout Fire Walk With Me, seraient l'apogée de la formule Lynch, le metteur en scène a
trouvé son lieu, ses personnages, son histoire, ses mythes de prédilection. Lost
Highway serait la décadence de la magie, les trucs sont bien connus maintenant,
les tours de passe-passe sont trop visibles, le prestidigitateur Lynch essaie de
masquer tout cela avec une histoire aussi tordue que d'habitude et un savoir
faire exemplaire, mais on ne peut plus se le cacher, la formule est éventée.
Heureusement le grand David a bien vu qu'il tournait en rond et avec Une
Histoire Vraie il fait tout autre chose. Avec ce chef-d'œuvre apaisé, il
poursuit son parcours exemplaire et magique. Avant de revenir une nouvelle fois
à sa recette éprouvée avec Mulholland Drive. Si le film garde une classe
immense, on ne peut s'empêcher d'y voir une stagnation du cinéaste. Reste à
admirer la performance des deux actrices principales et à se laisser porter par
une intrigue simple dans son fond mais tellement torturée dans sa forme. Depuis INLAND EMPIRE n'a fait que semer davantage le trouble. David Lynch
a disparu en lui-même. Est-il perdu ou n'a-t-il jamais été aussi proche de nous
?
Cette filmographie est incomplète, il manque des téléfilms et
autres projets rares de Lynch. |
Six Figures - 1967 (court-métrage)
The Alphabet - 1968 (court-métrage)
The Grandmother - 1970
(court-métrage) |
Eraserhead
1976
Le premier film de Lynch fut tourné dans le
chaos le
plus total. Ce qui explique certains problèmes de raccord entre les scènes
tournées sur une très longue durée (près de 4 ans). Eraserhead respire le
surréalisme à l'ancienne, c'est bunuelesque en diable, même si un peu trop
évident par moment. Nous avons à faire à un petit manuel illustré de la
frustration sexuel, de la peur de l'organique, de la paranoïa et du traumatisme
de la paternité. Des images qui parlent d'elles-mêmes, bien plus explicitement
que les délires des œuvres les plus récentes de Lynch. Ce qui marque le plus
dans Eraserhead c'est son ambiance assez unique. Ambiance renforcée par une déjà
géniale utilisation des effets sonores. Peu de musique (à part la fameuse
chanson de la Dame dans le Radiateur), peu d'action, mais beaucoup de folie et
de psychanalyse. C'est excellent d'un bout à l'autre et le regretté Jack Nance
est tout simplement grandiose. Un premier film qui se rit de son petit budget et
de son tournage chaotique, un premier film qui ose, un premier film qui marque.
Exemplaire. |
Elephan Man
1980
Le plus grand succès populaire de Lynch n'est un film
abordable qu'en apparence. C'est avant tout un extraordinaire manifeste sur le
voyeurisme, sur le narcissisme de la pitié, sur la cruauté et la monstruosité
sous toutes leurs formes possibles. Bien sûr on découvre dans ce grand film
"humaniste" que les vrais monstres ne sont pas ceux que l'on croit. Bien sûr
c'est un plaidoyer pour la tolérance. Mais c'est David Lynch qui tient la
caméra, donc ce n'est pas Rain Man. C'est un film en noir et blanc, visuellement
sublime, qui réussit à retrouver les accents esthétiques du cinéma muet. C'est
un film tout fait d'ombres et de sons effrayants. C'est Eraserhead dissimulé
derrière le mélodrame. C'est un intolérable suspens concernant l'apparence de
John Merrick, c'est une foire aux monstres qui tait son nom ; c'est un
chef-d'œuvre de la reconstitution historique et rarement on aura pu approcher à
ce point cette fabuleuse ambiance victorienne post révolution industrielle. La
musique est superbe, la plus belle partition du Lynch pré-Badalamenti. Les
acteurs sont grandioses, Hopkins aurait du devenir une star dès ce film. Et
c'est bien évidemment totalement bouleversant quand monte lentement l'adagio for
strings de Barber et que l'on apprend que "nothing dies". Bref ce n'est pas le
plus lynchien des lynchs, ce n'est pas le plus réussi non plus, mais c'est
peut-être, et même sans doute, l'un des plus beaux films de l'histoire du
cinéma. |
Dune
1984
Dune est un film bien difficile à aborder. On pourrait
commencer par son épique gestation. On pourrait aussi attaquer par la face
critique. On pourrait disserter sur le pourquoi et le comment de ce fameux
plantage. Adapter le gargantuesque roman de Herbert, qui est à la SF ce que Le Seigneur des Anneaux est à l'Heroic Fantasy, tenait du suicide. Il faut quand même
rappeler que Dune devait être une trilogie, mais l'échec du premier film ne
donna pas l'occasion d'en voir plus. Qu'est-ce qui ne va pas dans Dune ? Les
décors statiques ? Les personnages pas développés le moins du monde ? Les stars
qui ne font que passer ? Une histoire tellement condensée que c'est de là que
naît le seul surréalisme du film ? Dune, roman épique, qui semble ici se limiter
à une histoire de drogue psychédélique ("ah ouais délire ! l'épice qui fait
voyager et puis l'eau de vie qui ouvre l'esprit, top bab !"). Les effets
spéciaux assez catastrophiques ? David Lynch totalement absent ? Dune n'est pas un sombre nanar, c'est un film très moyen, qui hésite entre
images superbes à la Conan Le Barbare et kitsch façon Flash Gordon (la présence
de De Laurentiis à la production ne fait que renforcer la ressemblance entre les deux films).
Mais à l'inverse de Flash Gordon, Dune n'est pas drôle, Dune est sérieux et Dune ne délire qu'involontairement. A noter que pour les diffusions télévisées
américaines, David Lynch a fait ôter son nom du générique du film. Désormais Dune est un film de Alan Smithee, et c'est tant mieux. Seuls points à sauver,
Dune marque la rencontre entre Lynch et l'un de ses acteurs fétiches : Kyle
MacLachlan ; un "méchant" croquignolesque ; la belle Virginia Madsen en
ouverture du film et quelques peintures sur verre réussies. |
Blue Velvet
1986
Après avoir tâté de l'underground, du succès et du
système hollywoodien, David Lynch mélange toutes ses expériences et références
pour enfin trouver LA formule magique. Les bases sont celles du film noir à
l'ancienne, mais Lynch fait tout exploser. Pour la première fois il va voir ce
qui se cache derrière l'Amérique bien propre que l'on voit dans les films de
Spielberg. Ce procédé deviendra récurent et atteindra son acme avec Twin Peaks.
Les gens normaux ont tous des secrets honteux, les gens normaux sont
exceptionnels, les gens normaux sont tous des tueurs/pervers/monstres/malades...
Les gens normaux sont dangereux. MacLachlan est le faux Candide plongé dans
l'univers de ténèbres et velours bleu de Isabella Rossellini. Dans le monde
nocturne, il oublie sa fiancée nunuche et le monde tout propre de son enfance
(monde toute propre que l'on retrouve ironiquement à la fin). Dans une ambiance
entre film d'épouvante et sitcom, Blue Velvet noue une bizarre intrigue
policière dont on se désintéresse très rapidement. La formule magique lynchienne
implique une succession de scènes fortes, d'images formidables, si l'histoire
veut suivre tant mieux, sinon... Certes, dans Blue Velvet il n'y a pas
d'émotion, on est dans le monde du cynisme, du détachement le plus total, c'est
pourquoi le film semble un peu inachevé, en deçà des possibilités de cette
fameuse formule. Les œuvres suivantes vont heureusement poursuivre dans cette
voie. Blue Velvet a quand même tout du grand classique. |
The Cow Boy and The Frenchman- 1988
(téléfilm) |
Twin Peaks
1990
Peu de séries peuvent se vanter d'avoir autant changé l'histoire de la télévision que le Twin Peaks de David Lynch et Mark Frost. Improbable en son temps, l'expérience demeure, 15 ans plus tard, toujours aussi étonnante, proposant un mélange de genres aussi audacieux que malin, aussi plaisant que sans concession. Les prémisses sont pourtant simples : une adolescente est sauvagement assassinée dans une petite ville américaine extérieurement sans histoires. Bien sûr, les apparences sont trompeuses (et les hiboux ne sont pas ce qu'ils semblent être) et tous les protagonistes, sans exception, vont révéler des secrets plus ou moins terribles et des personnalités changeantes. Suivant à la lettre le titre même de la série, Lynch et Frost font de Twin Peaks l'une des plus inoubliables oeuvres dédiées au double et à la complexité humaine en général.
Comme si cette thématique générale ne suffisait pas, la forme adopte la même dichotomie. D'un côté les épisodes mis en scène par David Lynch lui-même, prolongements de son oeuvre cinématographique de l'époque et annonciateurs de la radicalisation à venir. Et de l'autre côté, les épisodes mis en scène par de braves faiseurs télévisuels et plus aisément dirigés par le contrepoint de Mark Frost.
Frost, dont l'influence sur Twin Peaks est souvent minimisée par rapport à l'aura du réalisateur de Lost Highway. Pourtant, ce spécialiste du monde de la télévision n'est pas pour rien dans la création de l'équilibre miraculeux qui soutient la schizophrénie latente de la série. De l'enquête palpitante qui sert de moteur (avec de vrais indices, une véritable progression dramatique, et oui, un vrai coupable) aux égarements les plus « soap » (les méandres des Packard/Martell, la niaiserie gluante de James et Donna
) en passant par des percées de comique burlesque parfois totalement incongrues (voir pour cela la scène de l'enterrement dans le quatrième épisode), tous ces niveaux d'appréciation de Twin Peaks, souvent antagonistes, se complètent et se mettent réciproquement en valeur. Du moins dans la première saison (le pilote et 7 épisodes) et, admettons, jusqu'à la moitié de la seconde (et la révélation de l'assassin de Laura Palmer). Après, de nombreux problèmes entraîneront la série vers des terrains chaotiques jusqu'à l'explosion en vol du dernier épisode.
Mais dans son ensemble, aucun show télévisé grand public n'a proposé une construction chorale aussi réussie et attachante, exposant au spectateur près d'une trentaine de personnages aux caractères et aux interprètes très dissemblables. De l'agent spécial Dale Cooper (aux méthodes ésotériques et à la bonhomie communicative) jusqu'à la moindre serveuse du Double R, tous les protagonistes existent avec force, dans cet univers parallèle qu'est Twin Peaks, où l'excentricité devient la norme, où les pires horreurs se dissimulent dans les lieux les plus rassurants.
Cette symbiose entre une esthétique puissante et la richesse scénaristique n'est pas seulement un heureux détournement des codes télévisuels, c'est avant tout la création d'une mythologie extraordinaire qui s'impose dès le pilote. La folie qui pirate chaque scène mais qui n'interfère jamais dans le suspens passionnant est la marque la plus évidente de l'originalité de Twin Peaks, mille fois imitée depuis (de X-Files à Lost en passant par Monster) mais certainement jamais approchée.
Découvrir Twin Peaks à l'époque de sa diffusion sur feu la 5 et dans notre prime adolescence, tenait à la fois de la révélation et de l'expérience quasi mystique. L'étrangeté de l'atmosphère de cette ville si éloignée de notre réalité et en même temps si familière, l'extravagance parfois terrifiante mais souvent charmante de ses habitants, ainsi que l'aura de Fantastique qui planait sur ce petit monde, tout concourrait à créer une fascination irrépressible. L'addiction à Twin Peaks précédait donc largement celle que l'on peut aujourd'hui connaître devant 24h chrono ou Battlestar Galactica. Chaque épisode apportant son lot de réponse mais aussi des cliffhangers affolants (ceux qui concluent la première saison valent leur pesant d'impatience).
Twin Peaks c'était aussi un parfum sulfureux, car en contournant certaines règles de la pourtant très stricte censure télévisuelle, David Lynch et son équipe se permettaient de larges écarts dans la violence et le sexe. Dès le pilote, on parle de drogue et de prostitution, plus tard ces données seront d'autant plus explicitées, en particulier lors des visites au One Eyed Jack, casino autant que bordel de luxe, où l'adorable Audrey Horne (la non moins sublime Sherilyn Fenn) traumatisera une génération entière avec une simple queue de cerise. Tous les tabous de la société américaine sont ainsi passés en revue au fil du récit et le nombre de morts, parfois très violentes, et quelques scènes terrifiantes dignes des longs-métrages du sieur Lynch, ajoutent à la beauté malsaine et pourtant envoûtante de Twin Peaks.
Basée sur des histoires fréquemment sordides et motivées par d'innombrables trahisons et autres faux-semblants, la série pourrait virer dans le glauque si elle n'était pas peuplée par des figures amicales telles que le courageux shérif Truman, le bon docteur Haywards, l'honorable Major Briggs ou Ed Hurley dont la malchance en amour ne le rend que plus touchant. Cette tension permanente entre les ténèbres les plus effrayantes de l'esprit humain et des scènes légères à la gloire des plaisirs simples de l'existence (Twin Peaks est une ode au café) incarne parfaitement la magie mais surtout la complexité de l'oeuvre. Après on pourra longuement discuter de l'interprétation des idées les plus originales du scénario et de savoir s'il faut vraiment céder au Fantastique plutôt qu'au psychologique pour expliquer les énigmes de Twin Peaks. Pour notre part, nous préférons la rationalité qui donne d'autant plus de saveur aux détails oniriques et singuliers.
Ajoutons à ces constats une musique admirable, comme toujours avec le tandem Lynch/Badalamenti, très simple et synthétique mais immédiatement identifiable, ainsi qu'un casting génial, qui n'aura d'ailleurs pas survécu à l'arrêt de la série (à quelques notables exceptions près). Twin Peaks est un ensemble d'une cohérence dans l'étrangeté qui en fait l'oeuvre lynchienne à la fois la plus représentative mais aussi la plus abordable. Affirmer au final que cette série est toujours le chef-d'oeuvre de la télévision américaine devient ainsi une bienheureuse évidence. |
Sailor et Lula
1990
Blue Velvet était trop statique, Lynch s'en est bien
rendu compte. Il va donc donner un formidable coup d'accélérateur à son univers.
On retrouve les personnages décalés et excessifs, on retrouve la perversion
dissimulée dans les méandres d'une incroyable intrigue à la fois policière,
romantique et épique. Sailor et Lula est un festival de numéros d'acteurs, une
œuvre bourrée de scènes hallucinantes et de musiques folles. Un film qui ne
ressemble à rien, sauf à du Lynch. On y croise aussi bien Le Magicien d'Oz que le pur film de gangsters (le parrain, les
contrats...). L'émotion dont on regrettait l'absence dans Blue Velvet fait ici
son apparition par bribes. Il y a quand même l'une des séquences bouleversantes
de la filmographie de Lynch, l'accident nocturne qui a lui seul vaut bien tout Lost Highway. C'est non seulement un fantastique instant de cinéma mais
c'est aussi la meilleure apparition à l'écran de notre divine Sherilyn Fenn,
c'est dire si c'est sublime. Le reste du film n'est pas très loin de ce niveau.
Si le début est encore un peu... "normal". On vire rapidement en
plein délire. Fort heureusement la
bonne fée (notre Sheryl Lee), vient tout remettre en place et donner au film une
happy end dérisoire et pourtant magnifique. Un très grand film et l'une des
dernières Palme d'Or évidentes du festival de Cannes. |
Fire Walk With Me
1992
Que les choses soient bien claires dès
le départ, ce film est l'un de mes plus grands chocs cinématographiques. Et c'est
d'ailleurs l'un de mes films favoris. Il fut d'ailleurs un temps où il m'arrivait
fort souvent de considérer Fire Walk With Me comme mon film fétiche. La concurrence est
rude à ce titre mais il fait partie de ses uvres qui sont finalement sur un pied
d'égalité dans mon cur. Le chef-d'œuvre de David
Lynch (si, si) est l'un des plus beaux films du monde mais c'est surtout l'un des
plus bouleversants. C'est pour l'instant le film le
plus émouvant de Lynch (plus encore qu'Elephant Man et Une Histoire Vraie !), le plus riche aussi, le plus intelligent, le plus passionnant, le
plus tout. C'est la synthèse et l'apogée du style qu'il avait inauguré avec Blue
Velvet. Lost Highway et Mulholland Drive n'étant que les restes (flamboyants mais moins
puissants) de
cette folie créatrice tétanisante.
Il est important de noter que j'ai vu
et adoré ce film (3 visions en une seule semaine) AVANT d'avoir suivi la série Twin Peaks. En clair, c'est
le film qui a motivé mon intérêt pour la série. Et si ensuite, logiquement, celle-ci
est devenue ma série TV favorite, je considère toujours le film comme une expérience
encore plus phénoménale. Faisons le compte. Fire Walk With Me est un film inclassable.
C'est une uvre qui fait peur (très peur par moment), c'est une uvre qui fait
rire, c'est une uvre qui fait réfléchir (forcément, et pour
une fois la constatation n'est pas galvaudée), c'est une uvre qui fait pleurer
(énormément), c'est une uvre qui émerveille, c'est une uvre difficile et
pourtant c'est une uvre très agréable à voir et surtout à revoir (des dizaines
et des dizaines de fois, sans jamais pouvoir se lasser).
D'un strict point de vue de la mise en
scène, c'est le film le plus aboutit et le plus maîtrisé de Lynch. Juste là où il
faut entre le classicisme d'Elephant Man et le n'importe quoi de Lost Highway. Travail
incroyable sur le montage, cadrages et lumières (pas de problème les stroboscopes sont
toujours là) magnifiques. Et puis surtout la bande son ! Entre la musique sublime de
Badalamenti et les effets sonores incroyables de Lynch himself, la bande son est
primordiale dans la réussite du film.
En fait Fire Walk With Me n'est qu'une
succession non-stop de scènes anthologiques. Impossible d'occulter un seul passage, tout
est génial, tout est parfait. Entre la première partie dépressive et angoissante, la
seconde partie bouleversante et tendue, le film se réserve toujours des instants d'humour
décalé ou de folie visuelle. Cette folie visuelle qui, contrairement à un film comme Natural Born Killers, n'a rien de gratuite. Elle participe à l'impact du film et surtout
elle participe à la mythologie de Twin Peaks. Cet univers d'une richesse infinie et
passionnante, ce monde que l'on ne veut pas quitter. 30 épisodes TV, un film de 2h15,
deux livres formidables (en particulier Le Journal Secret de Laura Palmer de Jennifer
Lynch (la fille de David et oui !), tout cela est odieusement trop court. Il faudrait
aussi comparer le film à la série, mais ce serait fastidieux. Oui la famille Horne
manque à l'appel (aaahhhh, Sherilyn...), oui la famille Martell et le docteur Jacoby
aussi, oui tout est recentré sur Laura (et c'est tant mieux). Tout ce que je vois c'est
qu'en abandonnant Mark Frost en chemin, Lynch a aussi abandonné les passages les plus
gnan-gnan-sitcom de la série...
Il faudrait aussi louer
l'interprétation. Sheryl Lee... Sheryl Lee... J'aimerais
arriver à faire comprendre quel est le niveau de sa performance. A part les deux Heavenly
Creatures, je ne pense pas avoir souvent vu une telle prestation. Sans doute parce que
Laura Palmer est le plus beau personnage féminin de l'histoire du cinéma (et vlan !). Et
Sheryl Lee est à la hauteur de ce rôle extrêmement exigeant. Elle, qui ne faisait que
de la quasi figuration dans la série, crève ici l'écran avec une force, une émotion,
une présence tout simplement sublimes. La plus belle performance d'actrice qu'il m'ait
été donnée de voir. Les seconds rôles (après Sheryl, tous les autres ne sont que
seconds) sont inégaux. Certains acteurs de la série ne brillant pas par un talent
évident. Mais Ray Wise en Leland Palmer est tout aussi cabotin génial que dans Twin
Peaks, il est extraordinaire et il est le seul à vraiment pouvoir tenir la distance face
à Sheryl Lee. Moira Kelly, qui remplace Lara Flynn Boyle dans le rôle de Donna Haywards,
est bien sûr un peu éclipsée mais elle s'avère magnifique aussi. Chris Isaack trouve
son plus important et meilleur rôle pour le grand écran. Kyle MacLachlan est
phénoménal comme d'habitude (et pourtant il ne fait que passer). Mais en fait le casting
est si exceptionnel et si magistral qu'il faudrait écrire des centaines de lignes de
superlatifs pour le qualifier.
L'histoire... Mais bon je ne vais pas
raconter l'histoire ici, qui sait ? Peut-être que quelqu'un qui n'a pas vu le film
pourrait lire ces lignes (cela m'étonnerait, mais bon...). J'ai pu lire ici ou là que
l'on ne comprenait rien aux films de Lynch. N'importe quoi, c'est l'une des pires idées
reçues qui circulent sur son compte. Au contraire, Lynch délivrant un véritable cinéma
interactif chacun peut apporter son propre imaginaire à l'univers déjà extrêmement
riche de possibilités du metteur en scène. Et Fire Walk With Me est à ce niveau un film
inépuisable. On pourra encore longtemps chercher toutes les explications possibles à la
Black Lodge, à Bob, aux rêves et aux "je ne veux pas parler de Judy ! (Garland
?)".
Fire Walk With Me et Twin Peaks sont des bonheurs de
l'inconscient en liberté, du ludique intellectuel (ce qui peut sembler paradoxal), quand
le moindre détail surprend et émerveille (FWWM, uvre philosophique ?). Les images,
les idées qui traversent le film résonnent dans l'esprit avec une force unique (c'est le
cas aussi avec des uvres comme Excalibur ou Le Miroir), on est touché en
permanence, sans forcément savoir exactement pourquoi. Comme si le mélange d'ordinaire
et de mythes, de clichés et de rêves, donnait au film un pouvoir hors normes.
Mais ce qui fait de Fire Walk With Me un film au-dessus de tous les autres, c'est son émotion. On pleure beaucoup devant le
film, quasiment dès que le personnage de Laura Palmer apparaît. C'est la somme des
efforts de Lynch, de Sheryl Lee et d'Angelo Badalamenti qui apporte les torrents de larmes
qui traversent les scènes. Des séquences comme celle du Double Bang avec Julee Cruise
chantant Questions In A World Of Blue, le face à face avec James juste avant la fin, le
meurtre et bien sûr le final, n'ont aucun équivalent dans l'œuvre de Lynch (à part la
fin d'Elephant Man et la scène de l'accident dans Wild At Heart). |
On The Air
1992
L'autre "grande" série de fiction TV de David Lynch et
Mark Frost n'a pas grand chose à voir avec Twin Peaks. Bien sûr on y retrouve
quelques uns des meilleurs acteurs de Twin Peaks (dont Ian Buchanan, Miguel Ferrer et
Kimmy Robertson) et le surréalisme habituel du Lynch télévisuel. Un surréalisme
bourré d'humour au service d'une courte série (7 épisodes) burlesque qui cherche
à retrouver les accents des meilleures comédies des années 40-50. On pense même
aux Marx Brothers par instant, même si c'est vraiment le gag "tarte à la crème"
qui prédomine. C'est souvent très lourd et c'est toujours hilarant. Une série de
pure comédie, sans aucune prétention, où tout est prétexte aux gags les plus
stupides. C'est phénoménal. Pour preuve, l'épisode pilote qui montre comment le
Lester Guy Show passe du statut de grand spectacle musical et dramatique à celui
de bordel surréalistico-hilarant. Les gags sont monstrueux (ah ! le coup du
doublage son foireux) et ça fonctionne du tonnerre. Une des meilleures séries
comiques des années 90. |
Lost Highway
1997
Lost Highway est-il déjà le film de trop ? Oui et
non. Oui parce que l'on a souvent l'impression d'avoir déjà vu tout cela
auparavant dans l'œuvre de Lynch. Oui parce que le film est moins réussi que Fire Walk With Me ou que Wild At Heart. Mais Lost Highway n'est pas un échec,
loin de là. Il reste le génie cinématographique de Lynch, son utilisation
superbe du son, son goût pour les images fortes. Il reste une histoire
bordélique comme on les aime mais d'où l'émotion est cruellement absente et où
la caricature prédomine largement. Il reste une première demie-heure
phénoménale, effrayante et sublime. Il reste quelques instants de transition
tout simplement excellents. Bill Pullman est surprenant, Patricia Arquette est
bien agréable à regarder mais son rôle est des plus limité. Mais je persiste à
dire que c'est du déjà vu. On a déjà vu les scènes de violence sur la musique de
Badalamenti (je vais revenir sur la musique d'ailleurs), on a déjà vu
l'incarnation du Mal (avant c'était un nain, un hippie ou une sorcière), on a
déjà vu la femme fatale qui est toutes les femmes en une, on a déjà vu la fuite
sur l'autoroute perdue. Donc, dans l'ensemble ça fonctionne fort bien, mais
c'est de la redite, en un peu moins bien (voire en beaucoup moins bien). Et il y
a la musique, qui, même si Lynch l'utilise de manière fort adéquate, ne vaut pas
les partitions de Badalamenti pour Twin Peaks ou pour Blue Velvet. L'utilisation
de chansons pré-existantes et très ancrées dans leur époque (ce qui n'était pas
tant le cas pour un film comme Wild At Heart) ne fait que plomber le film, le
rendre "mode", et les morceaux de Marilyn Manson ou de Rammstein (très efficaces
sur l'instant, mais bon...), risquent de faire vieillir Lost Highway relativement vite. Dans Blue Velvet on écoutait Julee Cruise dans les soirées
(et Elvis, aussi, oui...), dans FWWM on écoutait du David Lynch, cette fois on
écoute les Smashing Pumpkins (morceau correct, pourtant), et ça ne marche plus.
En clair, Lost Highway est un bon film, voire un très bon film, mais il lui
manque l'originalité, le choc initial, l'émotion et la perfection finale, de ce
qui fut la formule magique de Lynch pendant 10 ans. |
Une Histoire Vraie
1999
Merveilleux conte réel, The Straight Story brille par
une évidence, une pureté, une délicatesse miraculeuses. Le seul problème que
l'on puisse noter c'est qu'il n'y a rien à dire sur The Straight Story, à part :
allez le voir, ce film va changer votre vie (peut-être pas tout de suite mais
dans 20 ou 30 ans vous comprendrez). Ici, tout est lumineux, simple, pas de
polémique possible, pas d'interprétations délirantes. On accueille le film avec
paix, avec bonheur infini. Je me plaignais qu'avec Lost Highway, Lynch finissait
par tourner en rond. Avec Une Histoire Vraie, il change totalement de ligne
directrice, mais sans modifier son brio de mise en scène et ses décors fétiches.
Il est le seul à réussir ces lents mouvements de caméra empreint de sérénité, il
est le seul à savoir filmer ainsi les forêts et les routes, il est le seul à
magnifier l'intérieur des maisons rustiques, il est le seul à savoir ainsi
manipuler le son, il est le seul à ne jamais oublier de faire référence à
Jacques Tati (les chiens dans les rues, l'une des premières images du film).
L'année du retour de Terence Malick (La Ligne Rouge étant l'autre chef-d'œuvre
en état de grâce de 99), Lynch délivre un film qui aurait très bien pu se nommer Les Moissons du Ciel. Plus troublant encore, Sissy Spacek, qui avait trouvé chez
Malick son premier grand rôle, brille à nouveau de mille feux au cœur du Lynch.
Émouvant sans la moindre once de démagogie, le film sait éviter tous les écueils
du mélo. La musique (sublime, forcément sublime) est utilisée sciemment, la fin
est géniale et même plus. Mieux qu'une histoire vraie, nous sommes en présence
d'une histoire exemplaire ; au milieu du bruit et de la fureur, le metteur en
scène qui a su si bien démystifier la famille, le couple, la passion, offre ici
un message d'espoir, de paix, de grandeur d'âme, la beauté à son acme. The
Straight Story traumatise par sa grâce et l'on sait pertinemment qu'avec le
temps qui passe, il deviendra un film de chevet. Une œuvre intemporelle et une
promesse pour le futur. Une Histoire Vraie possède la simplicité d'un ciel
étoilé et la profondeur de ce même ciel vu par la caméra en état de grâce de
Lynch. Le film consensus de l'année 1999, sans aucun doute, mais c'est plus que
mérité ; rien ne semble pouvoir remettre en cause la réussite de cette œuvre
tout "simplement" parfaite. Et à chaque nouvelle vision, Une Histoire Vraie grandie dans le coeur et dans l'esprit. Et on réalise que cette oeuvre nous
accompagnera jusqu'aux portes de la mort, pour nous aider, peut-être, à accepter
la fin. |
Mulholland Drive
2001
Mulholland Drive est un film de David Lynch, évidence
évidente. C'est aussi un monument de frustration, nouvelle évidence. Car, comme
le prouvent les 2/3 du métrage, quelle putain de série TV cela nous aurait donné
! Ce pilote à peine retouché laisse rêveur par la richesse de ses possibilités.
Et l'on ne peut qu'être désespéré de ne pas voir se développer tous ces
personnages qui nous ramènent sans problème dans le monde merveilleux de Twin
Peaks (il y a même "l'étrange petit homme from an another place" !). Mais non,
il est déjà trop tard, et après un passage redondant au Silencio, le dernier
épisode de la série vient s'encastrer violemment dans son pilote. Et c'est déjà
fini. Silencio ! Silencio ! Une nouvelle fois Lynch nous invite à nous taire, à
ne pas disserter sur son film (franchement limpide à partir du moment où l'on
sait que c'est une série TV en raccourci et que l'essentiel est une histoire
d'amour impossible fantasmée) et à nous laisser porter par ses merveilleuses
séquences qui retrouvent l'intensité du rêve. Inférieur, il faut bien l'avouer,
à Fire Walk With Me ou à Sailor et Lula, Mulholland Drive n'en reste pas moins
une perle jouissive, souvent très drôle, toujours filmée comme un film
d'épouvante baroque et une nouvelle fois transcendée par la performance d'une
actrice en état de grâce (la blonde Naomi Watts, qui trouve peut-être ici, comme
Sheryl Lee et Laura Dern avant elle, le rôle d'une vie). Au fait, le Cow-Boy,
c'est le "rêve américain". Et le rêve américain qui dit "réveille-toi petite
fille", je pense que c'est assez clair non ? Toujours pas ? Oh, comme vous y
allez ! "We live in a dream" disait-on dans l'une des plus incroyables scènes de Fire Walk With Me. Mulholland Drive est une nouvelle confirmation de ce fait.
Film fantasme mais aussi film réaliste et donc cruel, Mulholland Drive a tout du
classique. Et comme Oshii dans Avalon, Lynch ne nous dit qu'une chose : tout
n'est qu'illusion. Lynch nous a encore fait le même coup. Et on y a
ressauté les pieds joints. Et bon sang que l'on aime ça. |
INLAND EMPIRE
2006
Le film qui fâche, le film qui
fait douter, le film devant lequel le jugement critique s'égare.
Face au cauchemar suprême, le rejet n'est que la première étape.
Réveillé par l'effroi. Hanté par le souvenir. Des années durant. Le
revoir ? Il le faudra. Bientôt. En attendant, les mots
disparaissent. |
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